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Critique de Allantvers


C'est un condamné à mort qui nous parle. Nous sommes en 1935 en Californie, et alors que la grande Dépression n'a pas fini de ravager les vies des plus modestes et que l'on prononce la sentence contre lui, Robert nous raconte comment il a rencontré Gloria, l'épreuve perdue d'avance du marathon de danse qu'ils ont traversée ensemble, et pourquoi il l'a tuée.

En écrivant cela je n'ai rien dévoilé, tout cela est dit dans les premières pages. En revanche ce que ces lignes ne disent pas, c'est la puissance de la portée symbolique de ce livre sec et bouleversant, sa capacité à démonter le mécanisme social qui sous-tend le déterminisme de la misère, la lutte plus ou moins consciente, plus ou moins farouche ou plus ou moins désespérée des individus pour s'en extraire.

Sur cette plage de Los Angeles baignée des lumières inatteignables de Hollywood, c'est un microcosme de la société américaine des années trente dans toute sa violence qu'abrite ce hangar, dans lequel des centaines de crève la faim viennent tourner jusqu'à l'épuisement dans un de ces marathons de danse qui essaiment le pays. Il n'y a qu'un seul gagnant, l'effort est surhumain et ils sont exhibés comme au cirque, mais au moins ont-ils la garantie de repas quotidiens. C'est le spectacle de la misère vue d'en bas : ceux qui triment sur la piste, ceux qui les exploitent, ceux qui, un cran au-dessus dans l'échelle sociale mais tout autant condamnés, se repaissent du spectacle.

Comme tous, Robert et Gloria jouent pour gagner. Mais là où Robert, naïf, s'accroche à un rêve, celui de devenir metteur en scène s'il remporte les mille dollars du concours, Gloria n'a qu'un objectif qu'elle n'a, lucide et déjà trop abimée par la vie, plus l'énergie d'atteindre. "Je voudrais être morte", répète-t-elle sans relâche à Robert qui, à travers elle, finit par prendre conscience du jeu perdant dans lequel il est englué.

Ce livre est d'autant plus bouleversant que le récit minimaliste, sans effet ni fioritures, laisse apparaître derrière chaque plan des symboles lourds de sens, comme le bus qui ne s'arrête pas pour Gloria au début de l'histoire, le couple qui s'effondre dans le dernier tour du derby organisé pour pimenter le spectacle, l'océan qui frémit sous le hangar sur pilotis et que Robert ressent mais ne peut pas voir, la détestable compassion de Madame Layden qui consent au spectacle.

Un livre cruel et majeur, à mon sens bien plus intéressant que le film, qu'il faut lire jusqu'à la dernière ligne pour comprendre le sens de son titre à la fois terrible et libérateur.
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