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Critique de Erik35


Erik35
25 septembre 2017
LEVEZ-VOUS ET MARCHEZ !

Ce vieux fantasme de la résurrection, du retour d'entre les morts, du passage dans l'autre sens du Styx, taraude l'humanité depuis qu'elle est en âge de comprendre qu'elle est mortelle. C'est à l'aune de ce précepte tout à la fois basique et pour autant très bien revisité ici que se déroule cet ultime album de la troisième - et pour l'heure dernière - série des "Sept", le terriblement nommé "Sept macchabées".

En guise de rapide mise en garde, prévenons les amateurs d'histoires classiques de zombies et autres mort-vivants revenus à la vie afin de détruire le reste de l'humanité qu'ils risquent d'en être pour leur frais. L'album en question ne se situe absolument pas sur ce terrain-là. Mais de quoi s'agit-il alors ?

Nous sommes en 1909. Les grandes nations européennes sont alors à l'apogée de leur puissance. Deux Empires - dont les régnants sont pourtant issus d'une même même famille germanique - se regardent déjà en chien de faïence : l'Empire britannique, dont on dit que le soleil ne s'y couche jamais, a choisi l'expansion coloniale, tout îlien qu'il est. L'Empire Allemand, s'étant réveillé de sa victoire écrasante sur le Second Empire français après la douloureuse défaite de Sedan en 1870, semble ne plus guère pouvoir se contenter de sa surpuissance sur le seul sol européen. De toute manière, l'Empire Allemand a, pour l'essentiel, loupé le coche colonial. Aussi, tout est bon pour s'affronter sur le terrain symbolique. La conquête des pôles fait partie de ces petites guerres en sourdine, mais qui préfigurent ce que serait la future Grande Boucherie à venir dans cinq petites années.

C'est dans de telles occasions que des hommes sans foi ni loi, du moins sans loi morale, surgissent. Ainsi en est-il de Lord Fischer, premier Lord of the Sea de la Royal Navy qui, remettant par hasard la main sur les travaux terrifiants d'un certain médecin et chercheur suisse, Victor Frankenstein (sic !), comprend qu'il pourrait constituer une armée de surhommes grâce à cette technologie aussi morbide qu'efficace. Parvenant à convaincre le Premier Ministre de l'intérêt de cette redécouverte, les deux hommes décident d'en faire profiter ce Graal scientifique et aventurier de l'époque (que l'on peut sans aucun doute comparer à ce que fut l'engouement pour la conquête lunaire dans les années 60) : être les premiers à planter le drapeau national sous le soleil du pôle sud, exactement. Accessoirement, s'arroger, pour la plus grande gloire du vainqueur, la totale propriété du dernier continent découvert par les hommes : le continent glacial antarctique.

Ainsi, sept malheureux bonshommes vont-il être rappelés d'entre les morts : Un lord anglais, Sir Goldwin, médecin de la Navy et ami de Lord Fischer, mort d'une crise cardiaque ; son fils, David, qui s'est pendu après avoir appris la mort foudroyante de son père ; Un Major, Adrian Butler, retrouvé assassiné de quatre balles, probablement par les indépendantistes irlandais du Sinn Fein qu'il avait infiltré ; Un maître-chien, Edward Robert, à moitié dévoré par ses derniers molosses ; John Wale, un quartier-maître ayant déjà une bonne expérience de l'antarctique ; un morphinomane mort de surdose accidentelle ou suicidé, mais photographe talentueux, un certain Brian Hirsch ; et le septième, un vénérable membre de la Royal Geographical Society, le géologue Peter Brannagh, et bon connaisseur des pôles.

Entre destins individuels - quatre de nos sept héros malgré eux étaient liés à divers niveaux avant leur "premier" décès - et aventure d'une équipe soudée par un même objectif, cet album proposé par Henri Meunier au stylo bien mesuré et Etienne le Roux au dessin, classique mais diablement efficace, débute avec une histoire digne des meilleures séries B et s'achève en histoire universelle entremêlant aventure, réflexion sur la mort, sur l'humanité et la guerre (cette autre éternelle recherche du combattant idéal, obéissant, qui ne souffre plus de rien et dont la force est décuplée) sur l'amour (filial), l'amitié, le dépassement de soi, etc. L'ensemble est mené de main de maître, sans le moindre appesantissement, sans faux pas ni redite. On se prend même à croire à ces personnages impossibles, à s'y attacher - peut-être parce qu'ils sont devenus tellement humains, plus humains que les "vrais" vivants, tandis qu'ils surgissent de ne pires fantasmes -, à trembler pour eux. Et même si ce format de l'album unique oblige à passer très vite sur l'histoire et la psychologie de chacun des membres de cet équipage unique, la force d'évocation de nos deux auteurs est suffisamment agile et intelligente pour nous en dire beaucoup en peu de planches.

On en arrive à pardonner quelques facilités avec l'histoire. Ainsi, si la Grande Bretagne fut belle et bien la nation ayant envoyé le plus d'expéditions en antarctique au tournant des deux siècles, l'empire allemand ne s'y intéressa pas plus que la France par exemple (deux expéditions chacune). Et ce n'est ni un anglais ni un allemand qui planta, le premier, le drapeau de son pays, mais le norvégien Roald Amundssen, le 15 Décembre 1911... Trente cinq jours avant l'effroyable arrivée de l'officier de la marine britannique, Robert Falcon Scott, qui mourra de faim avec tous ses hommes lors du voyage de retour. Petit clin d’œil à ce désastre : les poneys ressuscités de notre histoire fantastique. On estime que le choix retenu par Scott d'employer de petits chevaux mandchous, au détriment de l'option canine retenue par Amundsen, fut l'une des causes majeures de sa perte (entre autres choses, le fait que les chevaux évacuent l'essentiel de leur transpiration par la peau, tandis que les chiens de traîneau l'évacuent en grande partie avec leur respiration. Dans des conditions extrêmes, c'est une condition essentielle). Tordre l'histoire pour en faire surgir quelque chose de passionnant, c'est ce qu'auront réussi à accomplir, haut la main, les auteurs de ce "Sept Macchabées". Qui surprend le lecteur jusqu'aux dernières pages, laissant la grande Histoire du siècle à venir dans un suspens vertigineux, lorsque l'on découvre le nom véritable de l'un de ces Sept, alors même que la petite histoire de ces quelques hommes est achevée.

Indéniablement, une des très belles surprises de cette série des Sept désormais bien installée dans l'univers graphique de la BD franco-belge.
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