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Critique de Chou_dOnee


Un monument.


Cette lecture est a priori réservée aux férus d'histoire. Mais elle apporte de riches enseignements à tous ceux qui tentent de comprendre les origines des grandes tragédies humaines, aussi bien passées que contemporaines. J'espère donc que ce livre atteindra un large public.


A la manière du remarquable « L'âge global » de Ian KERSHAW, Alexander MIKABERIDZE, Géorgien d'origine (le pays voisin de l'ogre russe), professeur d'histoire européenne à l'Université Shreveport de Louisiane, dresse un tableau magistral des années postérieures à la révolution française, avec tous les évènements mondiaux enchaînés les uns aux autres à partir de ce point de rupture.


L'homme autour duquel ce tableau se construit est notre Napoléon BONAPARTE et les guerres qui ont entourées son action. La somme de connaissances qu'Alexander MIKABERIDZE fournit sur la situation du monde à cette époque est vertigineuse. Ce n'est pas du tout un simple traité d'analyse des batailles napoléoniennes. Toutes les grandes nations, les grands hommes, les idées et cultures majeures s'y retrouvent.


La révolution française sert de prélude. L'auteur égaille son propos de quelques cartes géographiques. Une première mappemonde donne donc à voir la répartition des peuples à la fin du 18ème siècle, avec la dizaine de grands ensembles qui contrôlent les principales routes d'échanges commerciaux. C'est cet équilibre qui va disparaître.


L'auteur nous rappelle que les grandes puissances de l'époque faisaient partie d'univers politiques distincts qui façonnaient leurs objectifs et aspirations politiques, chacun ayant ses propres prétentions et enjeux impérialistes. On se croirait aujourd'hui !


Au gré de 24 chapitres et de près de 900 pages, il explique les guerres, les rituels de paix, les stratégies, les luttes locales, en passant par l'opposition entre la France et la Grande-Bretagne, pilier de ces années-là, la question nordique, l'empire Ottoman, les Amériques, la Chine, etc.


Le récit est agrémenté de citations et de dialogues savoureux, tel cet échange entre l'amiral Sir John Jervis commandant une escadre de 15 navires, et ses capitaines découvrant une immense flotte espagnole venant à leur encontre, et sortant du brouillard :

"- Il y a 8 navires de ligne Sir John,
- Fort bien monsieur,
- Il y en a 20 Sir John,
- Fort bien monsieur,
- Il y en a 25 Sir John,
- Fort bien monsieur,
- Il y en a 27 Sir John !
- Assez, monsieur, il suffit : les dés sont jetés, et s'ils sont 50, je passerai au milieu d'eux."

Et c'est ce qu'il fit. Jervis coupa la ligne espagnole en deux et ses équipages, plus aguerris et mieux commandés, surclassèrent leurs ennemis.


Cette tactique est d'ailleurs celle que Napoléon va utiliser lui-même sur les champs de bataille « marcher divisé et combattre uni » pouvant résumer l'origine de ses plus fameuses victoires. Elles seront finalement déployées par ses opposants pour le mener à sa perte à Waterloo.


Comme il est impossible de résumer ce livre tellement il est riche, je fournirai une illustration sur un sujet qui m'a toujours surpris sans en connaître exactement la source. La chute de l'empire portugais. Alors qu'il avait conquis d'immenses territoires au cours des siècles passés, s'étendant des Amériques, à l'Afrique et à l'Asie, ce pays a été rétrogradé en une génération. Alexander MIKABERIDZE apporte son interprétation de ce phénomène. Il le lie aux actions de Napoléon au cours de l'année 1807, son alliance avec les Espagnols et son invasion du Portugal. le pays fut vidé de sa richesse, celle des personnes comme celle de l'Etat, de la plupart de ses dirigeants et de quasiment toute sa puissance maritime, le départ de la Cour royale qui resta 13 ans au Brésil, aboutissant à ce qu'une maison royale régnante européenne s'établisse entièrement dans ses colonies d'outre-mer. le monde transatlantique bascula ainsi d'Europe en Amérique.


Le lien entre ce passé ancien et l'actualité la plus dangereuse de notre époque concerne la Russie. Alexander MIKABERIDZE explique comment la vision de la société en Russie diffère de celle héritée des lumières et de la révolution française. le monde slave voit la société comme une entité historique qui se déploie au fil des siècles, immuable dans ses valeurs essentielles. Alors qu'en occident, nous appréhendons la société comme une accumulation d'individus respectant des valeurs communes. Ce qui a pour conséquence que la Russie tente de se protéger de l'occident par l'invasion et la mise en place d'un glacis aux marches de son empire, qu'elle n'aura de cesse de vouloir développer. Toute allusion à ce qui est en train de se jouer en Ukraine actuellement n'est pas infondée.


Au début du 19ème siècle, cette stratégie, couplée aux poussées napoléoniennes, conduisirent les Russes à grignoter l'empire Ottoman, rongé à ses marges notamment par les iraniens, alliés occasionnels des français, puis des anglais. le vide laissé par les Ottomans dans la péninsule arabique permit alors la prise de pouvoirs par les wahabites, alors que la Géorgie était envahie par les russes.


Un ministre russe affirmait ceci en 1802 : « dans son étendue actuelle, la Russie n'a plus besoin de s'agrandir, il n'y a pas de voisins plus dociles que les Turcs et la sauvegarde de notre ennemi naturel devrait être à l'avenir la base de notre politique ». Que ces paroles raisonnent clairement aujourd'hui si l'on veut comprendre un tout petit peu les relations géopolitiques dans le Caucase.


Le livre se clos sur la fin de Napoléon BONAPARTE, l'Ile d'Elbe, les 100 jours et l'exil de Sainte Hélène, où ce grand personnage forgea sa légende qui évolua rapidement en un mythe puissant, celui d'un Empereur bienveillant, dirigeant national populaire et fort.


Les derniers mots seront ceux De CHATEAUBRIAND « le monde appartient à BONAPARTE ; ce que le ravageur n'avait pu achever de conquérir, sa renommée l'usurpe. Vivant, il a manqué le monde, mort il le possède ».
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