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Critique de Lucilou


« Les filles qui ne mouraient pas » me laissent une curieuse impression, un léger malaise…La sensation diffuse de ne pas savoir si je suis déçue ou conquise, agacée ou fascinée par ce roman bien singulier. Il faut dire que je n'aime pas les entre-deux : -le thé, je l'aime brûlant ou glacé, mais tiède, sûrement pas- qui me laisse avec un goût d'inachevé, et ce goût là reste en bouche et agace.

Je tenais absolument à découvrir ces immortelles parées d'une couverture magnifique, tout d'abord parce que je tenais à me replonger dans la prose de Kiran Millwodd Hargrave dont j'ai adoré « Les Graciées », il y a fort peu de temps. « Les Graciées » et sa noirceur poisseuse, étouffante qui m'a terrifiée. « Les Graciées » et ses héroïnes sensibles et lumineuses.
Et puis, j'ai un amour immodéré pour les légendes, les contes traditionnels, les mythes. Je les aime même sombres, surtout sombres en fait et mystérieux. J'aime ces histoires dont on a l'impression aujourd'hui encore qu'elles nous cachent des choses et surtout leurs clefs. de fait, j'ai un faible pour les réécritures, les réinterprétations :pour tout ce qui me donne l'impression que les brumes vont se dissiper.
Alors quand j'ai su « Les Filles qui ne mouraient pas » se proposait de réécrire Dracula, à travers le destin de deux jeunes filles, je fus plus que tentée.
C'est à partir de là que surgit, d'après moi, un premier problème dans ma perception de l'ouvrage. En effet, je me suis sentie trompée, flouée, trahie par la quatrième de couverture… Tenace impression de tromperie sur la marchandise.

Si l'on s'en tient au résumé, on imagine que la totalité du roman se déroulera au coeur du château du « Dragon » le Dracula de l'intrigue, que de mystérieuses et fréquentes disparitions de jeunes filles occuperont nos héroïnes, que l'aspect vampirique de l'histoire nimbera tout le roman.
Que nenni, que nenni !
Tout cela existe certes bel et bien dans « Les Filles qui ne mouraient pas », mais n'intervient que fort tard dans l'histoire. Mais il y a aussi tout un avant qui prend beaucoup de place et qui donne une dimension d'autant plus profonde au récit, car cet « avant » est passionnant et plutôt travaillé ! Je peux même dire que je l'ai aimé.
Mais voilà, je suis gênée par cette ligné éditoriale qui vend un livre pour ce qu'il n'est pas (amateurs de sang frais, de comte en cape noir, de belles canines aiguisées et de château dans les Carpates, si vous espérez une histoire à la Stocker, passez votre chemin, car vous seriez déçus!) et qui, du coup, ne met pas en avant ce qui pourrait le rendre plus remarquable. Alors oui, parler d'abord de Dracula est sans doute plus vendeur et plus simple dans ce monde cynique, mais c'est bien dommage. Pour autant, oui, l'histoire est une réécriture de Dracula, mais à mon sens, elle n'est pas que cela. Pas du tout (ce qui n'enlève rien à la pertinence de la réécriture par ailleurs).

Lil et Kizzy, jumelles, font partie de le communauté des Voyageurs et vivent auprès des leurs en communion avec la nature et les éléments. Elles vont avoir dix-sept ans et dans leur monde, c'est un âge important : le jour de leur dix-septième anniversaire est en effet pour les Voyageurs le jour de leurs « prédictions ». Ce jour-là, la vieille Charani, chamane de la communauté, leur révèle ce que sera leur destin. Il n'y aura, hélas, pas de prédiction pour les deux soeurs. Ce jour, qui aurait dû être si important pour elles, si joyeux ne sera que feu et deuil parce que le seigneur Valcar, un « installé » décide de s'en prendre aux Voyageurs.
Incendie, massacre, esclavage.
Kizzy et Lil sont ainsi forcées à travailler dans les cuisines du seigneur et à subir tout ce que ce dernier et ses sbires jugeront bon de leur infliger. Pour les jeunes filles, c'est une descente aux enfers insoutenable, à peine éclairée par de rares belles rencontres.
D'un seigneur à l'autre… Valcar invite bientôt son suzerain, celui que les légendes surnomment le « Dragon », celui qui se régale de vin de serpent, que l'on obtient à grands coups de cruauté.
Bientôt Kizzy disparaît et pour retrouver sa soeur, Lil est prête à tout.

Il y a du bon, voire du très bon dans ce roman : la beauté de la langue de Kiran Milwood Hargrave, très poétique, très bien écrite et qui s'y entend pour dissimuler derrière son apparente douceur une cruauté raffinée ; la tension constante qui nimbe tout le roman et qui s'accentue au fur et à mesure des pages jusqu'à provoquer une sensation de suffocation ; la pertinence et la profondeur du propos, entre conte écologique et féminisme ; la revisite du mythe de Dracula ; l'immersion dans un univers extrêmement fascinant.
Mais c'est aussi dans ce dernier point que se niche le « moins bon » du roman : l'univers présenté fascine, intrigue mais il est trop peu développé et laisse trop de choses en suspend. Il aurait gagné à être plus approfondi et travaillé. C'est d'autant plus frustrant que la dernière partie du roman marque une cassure dans le rythme du texte. L'intrigue s'accélère et se dénoue bien trop vite.
Je ne déteste rien tant que de me sentir laissée sur ma faim.
Dracula stoppé net à deux millimètres de la veine qui palpite dans le cou de sa victime.
Quel dommage, d'autant plus que certains passages du roman sont vraiment prenants et fascinants, que l'atmosphère qui se déploie envoûte littéralement. Mais le maléfice dure trop peu… Il en va de même pour les personnages qui manquent pour la plupart d'épaisseur. J'aurais voulu en savoir plus sur eux, leur passé, leur motivations. Certes le choix d'une narration à la première personne n'est pas le plus indiqué pour cela et par ailleurs, c'est aussi intéressant de suivre l'intrigue à travers les yeux d'un personnage narrateur (ici Lil) mais voilà… Ce goût de trop peu…

Une lecture ni rouge sang, ni blanc neige. Un entre-deux donc, mais chargé d'intérêt tout de même et même d'une certaine fascination. Rattrapé aussi par la toute fin qui m'a plu (que voulez-vous, je n'aime pas les fins heureuses!).
Je ne regrette pas de les avoir lu les Immortelles de Kiran Milwood Hargrave. Reste à savoir si elles le seront aussi dans ma mémoire.
Je n'en suis pas certaine.
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