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Critique de Renatan


Le bateau est au mouillage dans une baie de l'Amérique centrale. La vie à bord est rude et les quarts de nuit sont pénibles. Tout a un sale goût de sel marin, une odeur de gasoil et de promiscuité masculine qui étouffe l'âme des solitaires les plus endurcis. Et puis, il manque de femmes. Les membres de l'équipage ont la nuit devant eux et les yeux brillants. Direction le bordel le plus proche. Quant à moi, je me suis trouvée un coin sauvage non loin de la baie pour respirer l'air pur et m'inonder de silence. Homer et Olmann, eux, sont sortis des sentiers battus à la recherche d'un bordel isolé, loin de la côte et des autres, tentant de fuir, au moins pour quelques heures, la réplique du poste d'équipage.

Ce petit paradis, ils l'ont trouvé après des heures de marche, au fond d'une cour. Une maison privée, l'endroit idéal. La guirlande d'ampoules au-dessus de la porte d'entrée clignotait de temps en temps. Pedrico, le gardien, se tenait sous la véranda, son révolver à la main. Des poulets au cou déplumé couraient dans tous les sens. Une bonne odeur de viande grillée flottait dans l'air. Il suffisait de boire, de fumer, peut-être de jouer aux cartes mais surtout, de monter à l'étage, le moment venu, avec l'une des filles qui attendait le long du mur.

Maria était assise au milieu de la cour, faisant couler le sable entre ses cuisses. Aguicheuse, désinvolte… Homer, tout en discutant avec le gardien, ne cessait de contempler ses jambes, dévoilées par sa robe légère. Ils montèrent à l'étage, dans le calme silencieux d'une entente tacite. Là où ils se touchaient, leurs vêtements étaient devenus humides et tièdes…

« Dans la chambre, Homer accrocha sa casquette au montant de la chaise.
-Tes jambes sont très jolies.
-Merci.
-Je les aime beaucoup.
-Je sais.
-Comment peux-tu le savoir?
-Tu les as beaucoup regardées tout à l'heure.
-Tu m'as vu les regarder?
-Oui, mais ça ne m'a pas gênée.
-Mais je t'écoutais aussi.
-Ça aussi, je l'ai vu, c'est gentil... »

Elle avait commencé à enlever sa robe, doucement. C'est alors qu'Homer vit la cicatrice sur son sein, profonde, le déformant légèrement. Il baissa les yeux et renfila sa chemise. Maria ramena ses jambes contre elle, proposa d'éteindre la lumière. Elle se dit que finalement, il n'était pas si différent des autres hommes. Mais tout de même un peu différent, pour accepter de payer à ne s'étendre qu'auprès d'elle sans faire l'amour. Il avait posé la joue sur son ventre, dans un besoin de tendresse. Elle avait même un peu dormi, apaisée. Quelle était donc cette douleur atroce au creux de la poitrine d'Homer? Cette souffrance, c'était celle de l'absence, « depuis le jour où il était sorti du ventre de sa mère jusqu'à cette seconde de cette nuit ». Hommes sans mère, le titre de ce petit roman, est l'image poignante de ce cri qui s'échappe des tripes de tant d'hommes. Ce sont les sanglots de celui qui recherche seulement un peu d'amour.

Ce qui m'a le plus émue et touchée dans ce roman, c'est le dialogue entre Maria et Homer. Un échange sensible, bouleversant, tendre et respectueux. Il m'a laissée sans voix. Ce dialogue est pourtant simple, occupé par quelques mots, sans artifice, sans plus. D'ailleurs, c'est de là qu'il tire à mes yeux toute sa beauté. Car les mots sont profondément humains, ils sont la marque de ceux qui vivent dans l'isolement et qui vont à l'essentiel sans s'encombrer d'inutile. Ils parlent de solitude. C'est ainsi que les phrases prennent vie et cherchent à laisser une petite trace au fond de l'autre, une fois les chemins séparés. Cet acte presque désespéré m'a vraiment touché en plein coeur.

«- Est-ce que tu te souviendras de moi?
-Oui.
-Alors c'est bien, tu es un peu différent.
-Non, mais je me souviendrai de toi.
-Et qu'est-ce que tu penseras?
-Je me souviendrai que tu poses beaucoup de questions.
-C'est tout!
-Oh! Non, d'autres choses encore.
-Tu parleras de moi sur ton bateau?...»

Bien sûr qu'il parlera d'elle. Il ramènera à bord le souvenir d'une nuit troublante. Quant à moi, j'ai glissé dans ma poche un petit galet, trouvé dans la mer. Une envie, toute simple, de me rappeler ces instants-là. Même si après un certain temps, je sais très bien que le petit galet n'aura plus la même résonance…

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
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