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Critique de afriqueah



Relire « le marin rejeté par la mer » m'a fait comprendre à quel point l'art de Mishima était abouti. Je savais qu'il s'agissait d'un meurtre abominable, je me suis donc transformée, au fil des pages, haletante, en une voyeuse ou plutôt lecteuse. Pourquoi n'existe-t-il pas un mot spécifique pour cette addiction faite de curiosité malsaine et de désir de continuer ? Lorsque certains lecteurs parlent de lecture en apnée, cela, à mon avis ne rend pas compte de la respiration d'un texte, et de notre respiration pendant cette lecture.

Je suis rentrée dans la pensée de ce jeune adolescent de treize ans, Noboru, travaillé entre ce qu'il sait et ce qu'il devine de ce qu'est la vie adulte : prêt à espionner sa mère à travers une plinthe avec vue sur sa chambre à elle, voulant être libre et dur, alors qu'il est tout juste sorti de l'enfance, il est, de plus, ami avec des garçons de son âge, dont l'un se déclare le chef, et dont la pensée réside en la reconnaissance, une fois pour toutes, que le monde est vide. Seul le meurtre parvient à remplir ces vides, ce non-sens de l'univers, de même qu'une fêlure remplit un miroir.
L'image de ce miroir revient, avec un art consommé, dans le roman : la mère, qui s'admire nue, l'amant, qui regrette, ou pas, ses années aventureuses de marin, et essaie de vérifier, en se contemplant, si son choix de rester à terre par amour est le bon.

Noboru a besoin de penser à sa force, il s'efforce de devenir insensible, de juger sa mère et l'amant de sa mère, et de leur faire le cinéma du petit docile.
« Il s'enivrait de cette menace tranquille et quand il tourna son coeur de glace vers les deux adultes un léger sourire comme celui qu'on verrait sur le visage d'un écolier qui vient en classe avec des leçons insuffisamment préparées mais avec la confiance en soi d'un homme qui s'élève du haut d'une falaise.»
La manière de dire, de suggérer, de nous faire attendre, de jouer avec nous, fait de ce roman (malgré les pages 62/66 : âmes sensibles, évitez de lire ça) un bijou de mise en scène du complexe d'Oedipe.

Mishima avait-il lu Freud ? Sûrement. Car plus la mère, et surtout l'amant, sont compréhensifs, moins le héros les respecte.

Mishima avait-il lu Nietzche ? Sûrement aussi. Car les garçons veulent se rendre maitres de l'existence, rompre avec le sentiment, s'exercer à la violence tranquille.

Lui, il est le maitre du récit d'une histoire d'amour, dont il déroule les fils qu'il nous met à la patte. Avec maestria.

LC thématique décembre : littérature étrangère
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