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Critique de oblo


oblo
02 septembre 2020
Le titre n'est pas anodin : le terme de saga renvoie évidemment à une tradition littéraire typiquement scandinave, mais ce qui diffère, ici, c'est le contenu : nulle guerre, nul combat sanglant. Toutefois, les peines et l'impression de solitude demeurent. Ici, Vilhem Moberg relate le parcours de paysans suédois qui, pour trouver une vie meilleure, traversent l'Atlantique pour s'établir en Amérique du Nord. À travers Karl Oscar Nilsson et son épouse Kristina, c'est le portrait de centaines de milliers de Suédois partis émigrer aux Etats-Unis au milieu du 19ème siècle que peint Moberg. le premier tome, appelé en français "Au pays", décrit cet Ancien Monde que choisissent de quitter Karl Oscar, Robert et d'autres encore. Il revient sur les causes de cette émigration et dépeint, aussi, l'Amérique comme une terre promise.

La famille Nilsson est établie sur quelques arpents de terre, nommés Korpamoen. C'est une terre rude, pierreuse, que le père de Karl Oscar, Nils, a défriché patiemment durant 25 ans. C'est aussi une petite propriété, qu'aucun défrichement supplémentaire ne saurait agrandir, et pour laquelle Karl Oskar s'est lourdement endetté. L'Ancien monde est aussi caractérisé par des structures sociales rigides, où les maîtres incontestables sont le roi et ses lieutenants (notamment le gendarme Lönnegren) et le pasteur Brusander. Si la politique du roi Oscar Ier est plus libérale et plus souple, il n'en reste pas moins que la société suédoise demeure dans un déterminisme social très fort, et que les personnages de Moberg ne semblent pas avoir de solution pour améliorer leur quotidien. Pire, les malheurs qu'ils affrontent - notamment la mort d'Anna, la fille aînée et préférée de Karl Oskar, à 4 ans seulement - est décrite par le pasteur Brusander comme une épreuve voulue par Dieu et qui doit être acceptée comme telle par les Nilsson. Conservatisme rime ici avec fatalité.

Pourtant, ce sont des événements conjoncturels qui poussent Karl Oskar et les siens à tenter l'aventure américaine. Précisons d'emblée que ce voyage est absolument hors norme pour des gens dont l'horizon géographique ne dépasse que rarement les limites de la paroisse. En premier lieu, les aléas climatiques - pluies abondantes et sécheresse - ruinent les récoltes des Nilsson et les poussent s'endetter encore plus. le message pastoral de Brusander d'un travail acharné donnant des fruits abondants ne fonctionne plus ; reste alors l'acceptation fataliste de la volonté divine. Karl Oskar ne s'y résout pas. Ces aléas climatiques provoquent notamment la famine, et l'agrandissement régulier de la famille Nilsson n'est pas pour apaiser les doutes. Cet accroissement démographique familial renvoie à une réalité plus générale : la Suède connaît un accroissement de sa population au 19ème siècle. Les règles de succession font le reste : à l'aîné l'héritage, aux suivants le soin de se débrouiller. D'où une armée de valets de ferme - dont fera partie Robert, le frère cadet de Karl Oskar - qui s'attachent à de rares maîtres qui, par conséquent, sont plus puissants. La vie des valets, entre violences physiques (dont est victime Robert) et psychologiques (dont est victime un autre valet, Arvid) encourage à rêver d'un ailleurs : ce sera l'Amérique.

L'Amérique, terre promise : c'est la description qui en est faite dans un livre que possède Robert. Pour une société empreinte de religion protestante, l'image est parlante. L'Amérique apparaît comme une terre d'abondance, où le gibier est nombreux, les terres vastes et extrêmement fertiles, les espoirs possibles. On peut y rêver d'une terre étendue presque gratuite, de têtes de bétail en pagaille, de travailleurs récompensés de leurs efforts. Mais l'Amérique est aussi une terre de liberté : pour les femmes, bien mieux traitées qu'en Suède, pour les hommes de conviction aussi. Car la terre du pasteur Brusander connaît les hérésies d'Åke Svensson et de ses héritiers, dont l'oncle de Kristina, Danjel Andreasson. Ces hérésies rejettent le clergé comme intermédiaire entre les hommes et Dieu et reconnaissent aux seules Écritures la légitimité religieuse. Pourchassée par le roi et par le pasteur Brusander, les hérétiques de la femme de Kärragarde voient en l'Amérique une terre où échapper aux persécutions. Mais les espoirs, comme les promesses, n'engagent que ceux qui y croient. Et il peut arriver que la croyance s'apparente, en quelques cas, aux illusions.
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