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Critique de Milleliri


Je me suis un peu raccommodée avec Molière grâce à son « Dom Juan » qui m'a énormément plu. du coup, après « Amphitryon 38 » de Giraudoux, j'étais curieuse de voir ce que ferait Molière avec le mythe. Et… le résultat est mitigé. Il y a bien quelques passages merveilleusement grinçants (surtout quand on pense au tableau de chasse féminin de Louis XIV) mais de façon générale, la pièce génère plus de malaise que de rire.

Même dans le « dossier » qui accompagne mon édition, le commentateur admet que le personnage d'Amphitryon est un des plus mauvais de Molière. Ce n'est pas un personnage qui prête à rire et Molière ne pouvait pas le pousser dans ses retranchements sans basculer dans le registre du drame, à cause de l'histoire dont s'est tiré. du coup les scènes passent mal pour le couple principal. Comment rire d'un mari cocu quand sa femme est violée à son insu, en abusant justement de l'amour qu'elle lui porte ?

Les personnages de Zeus et de Mercure sont donc particulièrement odieux. le premier est même pitoyablement méprisable en demandant à Alcmène de le voir comme un « amant » et non comme un « mari » (le violeur qui demande que sa victime lui dise je t'aime – Molière roi du lol). Forcément, elle ne comprend pas. Mercure quant à lui s'ennuie tellement qu'il souffle le froid et le chaud entre le couple de serviteurs, dont on se rend compte qu'ils s'aiment alors même qu'on les pousse à la rupture.

A mon sens, la pièce est donc franchement ratée et si l'on veut lire une adaptation du mythe qui tient la route et provoque vraiment de l'émotion, il vaut mieux se tourner vers Giraudoux. Dans sa version, Alcmène et Amphitryon savent assez vite qu'ils ont été dupés. Mais il y a de très beaux dialogues sur l'amour et le désir, l'humanité, entre Alcmène et Zeus, entre Alcmène et Amphitryon… Les personnages évoluent et se déploient dans le drame, et même un super-connard comme Zeus apprend et réfléchit.

Je sais bien qu'il y a trois siècles entre les versions de Molière et de Giraudoux, qu'on ne pense pas pareil au 17ème siècle et au 20ème. Mais je regrette que Molière n'ait pas été tragédien. « Dom Juan » flirtait déjà avec le genre.

Quand on lit le prologue d'« Amphitryon », où on ne peut pas manquer de voir une référence plus qu'insolente aux amours du Roi, quel dommage qu'il ne soit pas allé au bout de sa satyre et qu'il n'ait pas approfondi le parallèle entre le destin tragique déterminé par les dieux et le quasi-droit de cuissage que s'arrogeait un certain Roi-Soleil.

Et ce n'est pas le seul défaut. Quand je suis arrivée à la dernière scène, je me suis demandée si je n'avais pas manqué plusieurs pages : la fin est complètement bâclée.

On a l'impression que Molière a décidé sur un coup de tête d'en finir avec son canard boiteux, d'arrêter de s'embourber dans l'échec en coupant dans le vif. Zeus et Mercure repartent en se gaussant des hommes, sans grandeur et entre deux jets d'oeufs pourris, et on nous laisse avec ça. Je n'arrive même pas à me dire que c'est potentiellement la « suite » logique du prologue, tant cette fuite est ridicule.

Molière, tu es comédien de la troupe du roi. Si tu peux en prologue te permettre de te moquer quasi-ouvertement de ton patron et de ses maîtresses moultement mariées, ne rate pas ta sortie dans d'aussi grandes largeurs. C'en est presque gênant !
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