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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Chants de cimetière (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2013/2014, écrits, dessinés et encrés par Terry Moore. Il s'agit d'une série en noir & blanc, complète en 7 tomes.

Le récit commence par un retour dans le passé, plusieurs siècles plutôt. Lilith arrive montée en amazone sur un cheval, à la ferme des McKenna. Elle apostrophe Mary McKenna en lui demandant de lui confier sa fille Bryn Erin. La mère refuse, et la fille regarde avec curiosité la discussion. le père intervient pour chasser Lilith hors de son terrain, mais il est victime de coliques foudroyantes. Au temps présent, Earl essaye de faire reprendre conscience à Rachel qui replonge dans ses souvenirs entre 2 brefs moments de conscience. Finalement, la remémoration est interrompue et Rachel Beck reprend connaissance dans une situation catastrophique. Earl est convaincu que Carol a empoisonné leur repas, effondrée par la situation désespérée. Rachel parvient à ranimer Jet, en l'appelant James Johannson. Elle se rend compte que les âmes de tante Johnny et de Carol sont sur le point de quitter leurs corps respectifs. Carol rejoint Ma Malai qui l'attend à l'extérieur de la maison.

Rachel Beck se lance dans une course contre la montre pour essayer de sauver tante Johnny. Pour cela, elle convoque le docteur Siemen sur place. Ce dernier accepte avec assez de rapidité que Jet et Rachel soient ressuscitées, et il accepte d'aider à nettoyer le corps de Johnny, des poisons qu'il contient. Pendant ce temps-là, Rachel et Jet se rendent au musée de la ville pour récupérer la cassette que Eryn Brin a enterrée des siècles auparavant. Rachel n'est pas entièrement ravie que James Johannson habite le corps de Jet. de son côté, Zoe continue d'affuter son couteau appelé Jack. le prêtre (Malus) l'emmène faire un tour dehors pour lui expliquer ce qu'il attend d'elle.

Dans le tome précédent, Terry Moore avait augmenté la dose de surnaturel et d'horreur avec la fascination de Zoe pour son couteau, une immolation par le feu, ou encore l'empoisonnement des ressources en eau potable de la ville de Manson, dans le Wisconsin. Il surprend son lecteur avec la séquence d'ouverture, en commençant à en révéler plus sur la première vie de celle qui s'appelle maintenant Rachel Beck. Ce faisant, il explicite comment une communauté de sorcières a vu le jour dans cette ville à cette ancienne époque. Il introduit également de nouveaux personnages, comme la mère de Rachel, mais aussi James Johannson, le jeune homme dont elle était amoureuse à l'époque. Au cours de ce tome, le lecteur va ainsi voir plusieurs pièces se mettre en place : la raison de l'étrange comportement de Jet (Clara James Adams), la confirmation de la particularité de Zoe, l'espoir secret de Wesley Siemen vis-à-vis de sa femme, l'histoire du couteau Jack, et même une explication des traces de cordes autour du cou de Rachel Beck. Néanmoins toutes les explications ne se valent pas. L'origine du couteau Jack s'avère cohérente avec le reste des mythes utilisés dans le récit, mais elle demande quand même une augmentation significative du niveau de suspension consentie d'incrédulité. La trace de corde au cou de Rachel trouve une logique au regard de ce qui est arrivé aux sorcières plusieurs siècles auparavant, mais son meurtrier au temps présent n'est toujours pas dévoilé.

Terry Moore semble s'amuser à jouer avec ses lecteurs, et plus particulièrement avec le niveau de confiance qu'il est prêt à accorder à ce qui est montré. Déjà dans le tome précédent, il avait fait une manoeuvre en machine arrière déconcertante lorsque Johnny avait remis en cause le caractère surnaturel de la résurrection de Jet et Rachel, alors que tout ce qui est montré au lecteur en atteste, sans doute possible. Ici, il se livre à une entourloupe de même nature, avec ce que montre la scène initiale. le lecteur éprouve des difficultés à percevoir ce que ce revirement ultérieur apporte au récit, ou même au personnage de Rachel, au travers de sa vie d'Eyrn Brin.

Comme le tome précédent, celui-ci avance l'intrigue de manière significative, et même sûrement plus loin que ce à quoi s'attendait le lecteur qui sait que la série compte 7 tomes. Il comprend à nouveau essentiellement des personnages féminins dans les premiers rôles. Côté personnages masculins, Earl reste toujours aussi digne, forçant le respect du lecteur. le docteur Siemen a l'occasion d'expliquer sa relation très particulière avec sa femme, ce qui constitue plus un artifice narratif qu'une véritable facette de son caractère. Rachel et Jet continuent d'occuper le devant de la scène. Avec la scène du passé, l'auteur montre que les femmes n'ont pas que le comportement des hommes à craindre, mais celui aussi des autres représentantes de leur sexe. Il met en scène des femmes au caractère différent de l'une à l'autre, capable de se débrouiller par elle-même, ni victimes, ni faire-valoir, encore moins potiches. Cela ne l'empêche pas d'inclure quelques passages critiques ou malicieux.

À l'opposé d'un faire-valoir comique ou horrifique, Terry Moore joue sur le décalage existant entre l'apparence de petite fille pré-pubère de Zoe, ses actes de tueuse professionnelle à l'arme blanche, et ses propos oscillant entre ceux d'une adulte d'expérience, et ceux d'une petite fille de son âge remplie de joie à l'idée du jouet merveilleux qu'est ce couteau. En plaçant l'esprit d'un homme (James) dans le corps d'une femme (Jet), il développe une séquence assez attendue, mais avec une élégance rare. Pour une raison peu compréhensible, Jet indique à Rachel qu'elle doit se rendre aux toilettes (besoin étonnant car jamais évoqué pour les autres ressuscités) et le lecteur comprend par sous-entendus que James va en profiter pour explorer le corps féminin. D'un côté, il s'agit d'une blague potache très classique ; de l'autre côté, le scénariste met en scène le désir irrépressible de tout adulte mâle de découvrir les secrets du corps féminin. Comme dans le tome précédent, il continue aussi de dérouter le lecteur avec des séquences pas facile à décoder, ou à ce qui ressemble à des oublis. Il y a celle où James expose à Eryn Brin le caractère erroné de ses souvenirs. Il y a les corps violemment éjectés du cimetière qui n'ont pas eu d'incidence sur le reste du récit jusqu'alors, ou encore l'eau potable empoisonnée qui a eu un effet très restreint sur la population de Manson, ou encore la note laissée par Carol, qui semble sortir de nulle part.

Le lecteur se fait un grand plaisir de revenir à Manson, de la neige jusqu'au genou. Mais en fait, il se retrouve dans la maigre bassecour d'un ferme. le hachurage des surfaces par Moore fait des merveilles pour donner la texture du bois à la clôture et aux murs de la maison. Les robes relèvent d'une mode passée depuis plusieurs siècles et celle de Lilith est d'une facture plus onéreuse que celle de Mary McKenna. Il n'y a que le rendu du métal de la fourche qui ne correspond pas exactement à la matière. La neige est bel et bien de retour pour les séquences se déroulant à l'extérieur, tombant toujours sans relâche. Terry Moore s'amuse à montrer la progression hasardeuse d'un combi Volkswagen sur les routes qui ne sont pas déneigées. Il se montre un peu moins convaincant avec les personnages qui progressent à pied, sans difficulté malgré de la neige jusqu'à hauteur de leur genou.

Dans les scènes d'intérieur, le lecteur retrouve les lieux qu'il commence à connaître comme le salon de tante Johnny ou la morgue. le niveau d'ameublement et la quantité d'accessoires sont suffisants pour en faire des lieux spécifiques. L'artiste donne corps à la station-service du coin avec un bon niveau descriptif. Les interactions entre personnages bénéficient d'un langage corporel juste et éloquent. À plusieurs reprises, Terry Moore fait reposer la narration uniquement sur les images. La scène entre Jet sortant des toilettes et Rachel soupçonneuse est d'une rare éloquence. Il peut aussi s'agir d'une scène très banale comme James testant un interrupteur pour en comprendre la fonction pendant une page, pour effet comique réussi. Il peut également s'agir de scènes d'action. L'épisode 21 est muet pour plus de la moitié et montre ce qui arrive à Zoe alors qu'elle a trouvé refuge dans les toilettes de la station-service de Manson. La narration visuelle raconte de manière claire et intelligente les épreuves qu'elle affronte, tout en affichant avec force son manque d'empathie, de remord, confirmant sa capacité à tuer sans arrière-pensée.

Le lecteur accroché par les tomes précédents apprécie celui-ci. Terry Moore ne fait pas traîner les choses en longueur en ce qui concerne l'intrigue. Les personnages sont toujours aussi attachants et développés, avec des caractères très différents, et une histoire personnelle qui va en s'étoffant. Les visuels donnent à voir une petite ville recouverte par la neige, des intérieurs ordinaires et des séquences d'action crédibles, débarrassées des exagérations habituelles. L'horreur est toujours présente aussi bien visuellement que dans les actions. le lecteur peut ne pas adhérer totalement à la mythologie développée, mais elle nourrit efficacement l'intrigue.
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