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Critique de Pascalmasi


Bonheur. Voilà un mot que l'on attend pas forcément en lisant une fiction politique écrite en 1516. Vous avez bien lu : 1516. Pour rappel, Marignan, c'est 1515. A cette époque, personne n'utilisait ce mot.
Pourquoi ce mot, et pourquoi ce livre ?
A l'époque, le mot « bonheur » n'existait pas dans le champ lexical d'une Europe pétrie de religion qui utilisait presque exclusivement le mot Paradis.
Mais voilà qu'un Anglais, érudit et au destin bien curieux, écrit cette curieuse histoire. L'histoire une île appelée Utopie, sur laquelle existe une société totalement différente de tout ce qui a été fait jusque là – particulièrement en Europe – et sur laquelle règne une vraie forme de « bonheur ». Un bonheur, auquel on peut ajouter, une justice pour tous, une éducation pour tous (ou presque), une tolérance religieuse qui fait vivre en harmonie toutes sortes de chapelles, une abondance économique généralisée qui fait qu'on n'y connaît plus ni la faim ni le manque. Et que tous y sont très influencés par les grands penseurs Grecs alors que les auteurs Latins et leurs affidés, les Pères de l'Eglise, sont largement inconnus.
Bref, tout l'inverse de ce que connaît la « vieille Europe » et particulièrement la « vieille Angleterre ».
Pourquoi More, ami très proche d'Erasme, décrit-il un tel lieu dont le nom ne veut rien dire d'autre que « le lieu qui n'existe pas (Ou = nul + topos = le lieu, en grec) » ?
Pour comprendre, il faut comme toujours remettre en contexte. En 1516, l'Angleterre est gouvernée par la nouvelle dynastie des Tudor. Une famille anglaise qui sort miraculeusement gagnante de la terrible Guerre des Deux roses qui dura près de 30 ans (une guerre civile qui fit des dizaines de milliers de morts) qui elle-même prit la suite immédiate d'une autre « petite » guerre, la bien nommée Guerre de Cent ans (une guerre que l'Angleterre a perdu et qui dura la bagatelle de 120 ans et qui, comble de malheur, se doubla de la Grande peste qui élimina plus du tiers de la population). En ce début de XVIe siècle, l'Angleterre est donc à genou.
Les bras manquent partout pour travailler la terre et produire la nourriture. C'est alors que les Tudor ont la brillante idée de nommer de nouveaux nobles à la tête des domaines laissés vacants par les guerres et l'épidémie. Ceux-ci sont choisis parmi la bourgeoisie marchande (il n'y a plus de familles nobles!) et sont en fait des commerçants bien davantage que des propriétaires terriens. Plutôt que de tenter de travailler la terre, ils décident de tourner le dos à l'agriculture pour transformer les terres en pâturages, notamment pour l'élevage des moutons. Un seul pâtre peut faire fructifier des hectares de prés tandis qu'il faut des centaines de bras pour produire une récolte. Ce sera le phénomène des « enclosures » qui ruinera la paysannerie anglaise et jettera sur les routes toute une population victime d'une une misère noire.

Pouvait-on imaginer pire situation ?

More s'y refuse et voilà pourquoi, il imagine un possible paradis sur Terre qu'il nomme Utopie, sans grande illusion d'ailleurs. Non sans raison, après une éphémère carrière politique, il finira en prison et sera décapité.

Si ce curieux texte de More nous apprend quelque chose, la leçon en est simple : les dirigeants, avant de lancer une guerre, devraient y réfléchir à deux fois. Les choses ne se passent jamais comme prévu. Xi Jing Ping qui lorgne sur Taïwan, Poutine qui lorgne sur l'Ukraine, et combien d'autres feraient bien de lire More et même de s'en souvenir.
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