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Critique de mariedupuis


de Marie-Hélène Prouteau sur Terres de femmes. Voici un roman singulier et qui prend toutes les libertés avec les formes d'écriture. Les lisières des genres s'effacent. Roman, poème, conte d'aujourd'hui, il est tout cela, ce livre de deuil. Il était une fois, dans une presqu'île au nom merveilleusement antique, une jeune fille qui tentait de surmonter la douleur causée par la chute mortelle de son amie Arthénice, sa partenaire funambule. Cette Lucia Antonia qui fait entendre sa voix dans des carnets semble sortie de l'Écume des jours ou d'Alice au pays des merveilles. C'est dire si nous sommes loin du chant de déploration et du tombeau. Daniel Morvan se saisit de la fiction et du romanesque, les fait voler en éclats. La cohérence d'ensemble, profondément originale, repose sur la forme poétique et narrative de l'injonction initiale, « Choses à faire ». Ceci n'est pas sans rappeler Notes de chevet, de Sheï Shōnagon, auteure du Japon de l'an mille, qui décline sa poésie sur le mode des listes. Dans ce bloc-notes à l'ancienne, Daniel Morvan invente une écriture syncopée, au gré des vibrations intérieures du personnage et des signes du monde. Il pose son regard sur les salines, sur les gestes des hommes qui y travaillent, sur la beauté des choses changeant avec les marées. L'action, jamais située dans le temps, est une suite de fragments, enlevée comme le sont certaines suites de Chostakovitch, dont le nom revient associé au souvenir de la jeune morte. Entre ces fragments, beaucoup de blancs, à l'image du vide au-dessus duquel marchaient les amies funambules. La langue est tout en retenue, tendue, sensuelle.

« Tendre un fil » : le jeu de l'infinitif, répété à plusieurs reprises, donne un phrasé surprenant à ces pages. Par ce verbe nu, sans pronom, il s'agit, pour la narratrice, de fixer brièvement des tâches et, par là, de canaliser la douleur. Ce mode de la vitesse correspond parfaitement au personnage que l'on sent comme une boule de pures tensions. Contrairement aux apparences, l'infinitif ne promet pas l'infini. Depuis que Lucia Antonia s'est retirée dans cette presqu'île, elle vit sans argent, rencontre Eugénie et Astrée, deux réfugiées, un garçon voilier, un peintre, elle se promène dans les salines et voit partout l'image de la disparue. « Tracer un plan du marais », tel sera l'infinitif qui pointe sa détermination tenace : « C'est là que je fonderai le nouveau cirque d'Arthénice ».


Lien : https://terresdefemmes.blogs..
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