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Critique de Lulu_Off_The_Bridge


Le médecin de la ville garde un mannequin-totem où elle accroche les hameçons récupérés sur ses patients. Gracie construit sa vie en regardant le frère qui l'a sauvée de leurs parents saborder son foie et son mariage. Une jeune femme parcourt la steppe à la poursuite d'un chien enfui. Six enfants et leur mère fouillent les décombres d'un crash aérien. Six enfants tentent de s'élever tout seuls, et leurs enfants, et les enfants de leurs enfants, racontent. Dans cette Alaska qu'on trimballe comme une enclume, des ours, des chiens, des poissons, la rivière et la steppe, la misère. La pêche. La famille réduite aux techniques de survie et aux coups de ceinture qui claquent.

'ai tendance à classer les recueils de nouvelles en deux types. Les recueils « par inadvertance », disons, qui sont des ensemble de textes, souvent à la demande d'un éditeur, où l'auteur racle ses fonds de tiroirs avec plus ou moins de bonheur, éventuellement regroupées autour d'un thème vaguement commun qui ressemble souvent à un argument d'après-coup. Et les recueils plus construits, ou agencés en amont de l'écriture, du moins.
Alaska est de ceux-là. Un ensemble organique, une variation sur un même thème, sur une même famille et ses ramifications. Ramassé sur lui-même, sur 3 ou 4 thèmes qu'il creuse comme le sel sur une plaie. Polar Bear et ses enfants, Gracie et son frère, leur cousins, des voisins, des oncles à la mode de Bretagne. Ils ont en commun un désespoir étrange fait de résistance à toute épreuve, d'histoires à dormir debout pourtant d'une simplicité rare – et des foies en titane. On pourrait croire que ces différents personnages sont une nième variation sur le thème des laissés-pour-compte de l'Amérique, mais non. Moustakis ne porte par jugement, ne tire pas de morale, elle montre des gens qui, vivant dans un endroit inhospitalier, sont réduits à leur noyau dur.
En ouvrant le livre, je craignais un peu une redite de poésie ripolinée sur la-nature-sauvage-et-mystérieuse. Au titre (français) seul, on attendrait des grands passages lyriques sur l'âpre nature et la taïga locale, à l'image des écrivains de l'Ouest américain, mais non. L'Alaska toujours présente n'est pas une terre de fantasmes – ils ont dû faire long feu aux alentours de 1920 –, elle n'a d'autre poésie qu'elle-même, son rythme qui ne va nulle part et les saumons qui remontent la Kenai.
Pour donner forme et sens à cette matière brute (dans tous les sens du terme) : la plume nette de l'auteur, sa prédilection pour les constructions hachées, les millefeuilles de voies passées qui survivent dans le discours des enfants, par exemple, le refus systématique du lyrisme, qu'on prend comme autant d'embruns dans la figure, sans respirer, coup sur coup. On n'y aurait pas pensé, mais Moustakis indique que la pêche et l'écriture sont filles de la même attente, d'une tension essentielle née de l'incertitude « mordra, mordra pas ? ». Certains textes sont déroutants, comme la nouvelle liminaire, mais c'est aussi la raison pour laquelle j'ai plongé tête baissée dans le recueil, certains semblent tourner court. C'est la règle du genre, je suppose, celle qui fait que l'on accroche ou pas. Pour autant, le reproche fait aux nouvelles de vous plonger dans un univers pour vous en éjecter aussi sec, ici ne tient pas puisque, précisément, on ne sort jamais de monde clos aux espaces immenses, vides et inertes. Plus qu'un kaléidoscope, on se trouve face à un roman-gigogne dont on observerait toutes les facettes en même temps, sans jamais vraiment perdre quiconque des yeux.
Lien : http://www.luluoffthebridge...
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