AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Musa_aka_Cthulie


J'avais écrit une première critique de l'Été de la sorcière, courte et concise. Que j'ai étrangement perdue - je ne perds jamais mes critiques. Qu'à cela ne tienne : de toute façon, je voulais la réécrire complètement. Un petit avertissement avant de continuer : je ne me suis pas énervée sur ce livre. Je me suis juste ennuyée. Et au moment où j'écris, j'écoute en boucle mon morceau fétiche (Kong de Bonobo) pour me concentrer et rester détendue, voire accéder à la connaissance ultime de l'univers - j'attends toujours concernant le côté métaphysique des choses, mais je ne désespère point.


Au départ, je ne voulais même pas écrire cette critique. On m'avait déconseillé deux fois ce roman, pour des raisons très différentes, et ce qui me titillait, c'était de voir que parmi les avis positifs, largement majoritaires, pointaient d'autres avis beaucoup moins élogieux. Était-ce du feel-good à la japonaise ou pas du tout, était-ce du genre de ce qu'écrit Ogawa Itô (que je n'aime pas du tout du tout, pour ce que que j'en connais), était-ce bon, était-ce mauvais, était-ce enivrant ou était-ce sans grand intérêt ?


Ce qu'on lit le plus souvent sur ce livre, c'est que c'est un roman délicieusement japonais sur la façon de mettre à distance les émotions (je pense que je cite Chrystèle avec cette expression très juste, à mon sens), sur la façon d'apprivoiser les joies simples et les difficultés de la vie à travers des gestes et une vie simple, faite de jardinage et autres rites du quotidien. Et un roman sur les rapports entre grands-parents et petits-enfants. Et un roman sur le deuil. Et aussi un roman sur la vieillesse. Ce qui fait déjà beaucoup de romans en un seul ! J'ai la sensation que tous ceux qui l'ont aimé s'y sont projetés d'une manière ou d'une autre. Ca m'a bizarrement rappelé La maison qui soigne de Nathalie Heinich : le sujet semblait importer davantage aux lecteurs (on doit pas être bien nombreux à l'avoir lui, celui-là, et cela dit, c'est pas plus mal...) que le livre en lui-même. Il y a des sujets comme ça. Or, je vais me répéter, mais le sujet à lui seul ne fait pas le roman.


Vous n'aurez pas de mal à trouver le résumé de L'Été de la sorcière, mais je vais me fendre d'un court rappel. La narratrice, Mai, se souvient du moment où sa mère lui a annoncé que sa grand-mère était mourante. Et de nous emmener avec elle pour l'été de ses treize ans, donc deux ans plus tôt, qu'elle avait passé avec cette grand-mère suite à son refus de retourner au collège. le personnage principal, il me paraît clair que c'est Mai, avec sa difficulté à appréhender toutes les émotions qui la submergent et à surmonter les difficultés qu'elle rencontre au collège. Une enfant difficile à comprendre et difficile à vivre selon sa mère - qui n'est pas un personnage désagréable, mais que cette façon de réfléchir rend assez pénible d'emblée ; sauf que la narratrice, qui n'est autre que l'auteure, ne veut surtout pas dire du mal de sa mère, donc, allez c'est pas si grave de dire ça de sa fille. Or c'est plutôt grave, ça a forcément un impact sur la jeune fille. Une jeune fille que sa grand-mère accepte pourtant telle qu'elle est et avec plaisir. Là, vous vous dites que la grand-mère est un trésor. Sauf que si vous y pensez bien, pas mal de grands-parents sont facilement plus coulants avec leurs petits-enfants qu'ils ne l'ont été avec leurs propres enfants. Donc, que la grand-mère prenne Mai comme elle est, c'est pas si étonnant.


Mai va apprendre à faire des confitures, à reconnaître certaines plantes, à jardiner, à nourrir les poules, à profiter du jardin et des bois voisins. Tout ce que vous-même avez probablement appris avec votre grand-mère (pour les gens de ma génération, et surtout pour les filles, je sais pas trop pour les autres) si elle était sympa et qu'elle avait un jardin. Mais elle va aussi apprendre à suivre des horaires stricts, elle va devoir suivre un programme journalier strict, étudier tous les après-midis, et se taper des tâches ménagères aussi passionnants que la vaisselle et la lessive tous les matins ; toutes les grands-mères vous diront qu'elles ont été bien contentes d'être débarrassées de la corvée de la lessive grâce aux lave-linge parce que c'était franchement pas une sinécure, qu'elles se cassaient le dos, et j'en passe, mais celle de Mai, nan, elle y voit un rituel quotidien qui apprend la discipline - le mot est lâché ! D'ailleurs, quand est-ce que Mai trouve le temps de se promener avec cet emploi du temps chargé, je vois pas bien...


Parlons donc discipline. Finalement, c'est pas une grand-mère cette femme, c'est une prof. Parfaite. L'auteure a écrit ce texte dans les années 90, qu'elle a revu en 2017. Un texte marqué par une culpabilité dont, visiblement, Nashiki Kaho ne s'est jamais débarrassée. En effet, cet été-là, la grand-mère parfaite avait fini par gifler sa petite-fille, qui était repartie chez ses parents avec pas mal d'amertume au coeur ; elles ne se reverront plus. Alors oui, c'est triste pour la grand-mère. Cela dit, gifler sa petite-fille, ça a forcément des conséquences, surtout quand on ne prend pas la peine de présenter ses excuses (il est vrai qu'on s'excuse rarement dans ces cas-là, soit parce ce qu'on a trop honte de soi, soit parce qu'on s'en fout). Mais Nashiki ne se pardonne pas de ne pas avoir pardonné cette gifle à sa grand-mère. Et tout le roman va en souffrir. La grand-mère a ses défauts (et elle passe pas non plus son temps à gifler sa petite-fille, soyons honnêtes). Comme tout être humain. Sauf que Nashiki va s'évertuer à nous la présenter comme une grand-mère parfaite, avec-des-défauts-mais-parfaite-quand-même. Premier écueil.


Second écueil selon moi : c'est pas très bien écrit. Bien entendu, je n'ai pas lu ce roman japonais. Mais pas besoin de ça pour repérer les défauts de la construction du texte, ou la difficulté qu'a eu l'auteur à rendre les émotions qui agitent la narratrice. Les émotions, c'est fugace, c'est versatile, c'est diffus ou ça submerge, mais c'est la plupart du temps compliqué à mémoriser. Ne parlons même pas de rendre des émotions qu'on a ressenties des dizaines d'années plus tôt et qu'on n'arrivait pas alors à comprendre. Bien sûr qu'il existe des écrivains qui savent rendre ce genre de choses. Mais ce n'est pas le cas de la plupart. Et, à mon avis, c'est pas le cas de Nashiki. Je la voyais se débattre avec ce qu'elle voulait écrire et qui restait hors de portée. Il n'y a pas de mal à ça, c'est dur de transmettre ce genre de choses, c'est dur de mettre des mots là-dessus. C'est toute la difficulté d'une psychothérapie ou d'une psychanalyse. Ici, si on voit la confusion de Mai, on ne la ressent pas. Un bon exemple, c'est la réaction de la jeune fille face au voisin de la grand-mère : elle éprouve de la répulsion pour lui. On entrevoit ce qui la perturbe (notamment à cause des revues porno qui traînent dans les poubelles), on pourrait facilement s'identifier à elle et puis... Ben mince, ça fonctionne pas. Zéro empathie quand on devrait en ressentir. Je me fiche de ne pas ressentir d'empathie pour les personnages de fiction si l'empathie n'est pas nécessaire - et souvent, elle ne l'est pas, de mon point de vue. Pour le coup, ici, tout repose sur l'empathie. Or zéro empathie de ma part pour Mai, et zéro empathie pour la grand-mère. Mince.


Il y a d'autres défauts d'écriture sur lesquels je ne vais pas m'appesantir, comme la difficulté de l'auteure à poser un décor. Est-on au Japon, est-on en Angleterre ? Quelques maigres indices peuvent éventuellement vous guider, à condition que vous ayez déjà discuté avec des personnes à la fois d'origine européenne et japonaise, ou européennes ayant vécu au Japon, etc. Si vous avez lu la quatrième de couverture, c'est déjà expliqué. Mais pas au début du roman. Défaut d'écriture dérangeant selon moi, relevant d'un manque de maîtrise.


Un roman mal écrit, c'est un problème. Un roman auquel on prête une ambition spirituelle, philosophique, c'est également un problème si vous ne vous retrouvez pas là-dedans. En plus de la psychanalyse, je suis adepte du yoga - je n'ai qu'un faible niveau et je ne peux plus pratiquer comme je le voudrais. Mais il y a un truc que je recherche dans le yoga, qui va au-delà du machin sur le bien-être qu'on nous vend sans arrêt. Je me fiche de faire de belles postures dans un joli ensemble (le yoga a pas été inventé pour ça, de de toute façon). Je voudrais bien y trouver quelque chose qui relève de la maîtrise des émotions, arriver à un état méditatif (vous comprenez mieux pourquoi je peux écouter un seul morceau instrumental de Bonobo en boucle) ou du moins m'en approcher, et tenter une réflexion que j'appellerai spirituelle faute de mieux. On me croit souvent peu intéressée par ce qui est du domaine spirituel - terme assez fourre-tout - sous prétexte que je suis athée. Mais la spiritualité ne s'arrête pas à la religion ou à la superstition. Et de démarche spirituelle ou philosophique, et dont pas mal de lecteurs ont parlé, je n'ai pas trouvé trace dans ce roman. Cueillir des fraises, OK. Faire de la confiture, OK. Être confronté à la mort, OK. Tout cela relève-t-il du roman philosophique ou spirituel sous prétexte que ça se passe au Japon et qu'on recense à la file tout un tas de gestes ordinaires ? À mon avis, non.


La Guerre des mondes est un roman philosophique. Solaris est un roman métaphysique. le film d'animation Souvenirs de Marnie, malgré des défauts (ça pleure pas mal), parle très bien des relations petite-fille grand-mère et des émotions agitant les ados (ou pré-ados, je ne sais quel terme employer). Et, je le dis tout le temps mais il semblerait que ce soit pour rien, donc je le répète : on peut trouver de la philosophie (et même plus) dans le Jardin invisible de Marianne Ferrer, car oui, les albums pour enfants peuvent receler des trésors de subtilité. A-t-on besoin d'un roman comme L'Été de la sorcière pour donner dans le méditatif ? M'est avis que non.


Mais ne tenez pas trop compte de mon avis, il y a tout à parier que vous serez en total désaccord avec moi (et donc pourquoi j'ai écrit tout ça, au fait ?)
Commenter  J’apprécie          6736



Ont apprécié cette critique (61)voir plus




{* *}