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Critique de Heval


Lajja, la honte en langue bengali, est le sentiment éprouvé par Mr Sudhamoy Datta à l'idée de quitter son pays, le Bangladesh. Médecin, père de deux enfants- Maya Datta ( âgée de 21 ans) et Suranjon Datta (âgé de la trentaine)- marié à Kironmoyee, Sudhamoy est un fervent militant qui a lutté pour l'indépendance de son pays. Communiste, athé, il rêvait d'un pays indépendant, laique, démocratique où les droits de chacun seraient respectés, les frontières religieuses dépassées. Il rêvait d'un Bangladesh où le sentiment d'appartenance à une communauté religieuse n'entraverait pas le sentiment d'appartenance à une Nation. Il rêvait plus largement d'un pays, d'un monde où l'Humanité dépasserait les frontières superficielles que sont les frontières religieuses. Seulement, quoique furent ces rêves, les gouvernements successifs, de manière progressive, modifient la Constitution établie après l'indépendance du pays; font fi du principe de laïcité qui avait été mentionné et consacrent l'Islam comme religion d'Etat.Progressivement, à cause et à l'aide du politique, le communautarisme s'installe. Les minorités religieuses hindoues et chrétiennes voient leurs droits restreints, subissent discriminations et spoliations. le sentiment religieux devient un critère d'appartenance à la Nation. La Nation devient une communauté religieuse, oubliant que tous- musulmans, hindous ou chrétiens- avaient ensemble lutté pour l'indépendance du pays, oubliant que tous étaient Bengalis avant d'être croyants. Chaque citoyen est définie au regard de ses croyances religieuses. Dans ce contexte, le Bangladesh, après son indépendance déclaré, connait, nombres de violences inter religieuses. Sous la plume de Taslima Nasreen, les violences sont essentillement exercées contre les Bengalis de confessions hindoues qui, à défaut de réactions, décident de quitter le pays pour l'Inde.

Sudhamoy, lui, refuse de quitter son pays malgré les volontés de sa femme. Fort de ces principes, de ces convictions et de ces idéaux, il pense honteux de quitter le Bangladesh, sa terre, son pays, sa patrie, pour lequel il s'est battu et pour lequel il a payé le prix. Alors que tous ses amis, ses voisins, sa famille ont décidé et décident de quitter le pays à contre coeur, lui optimiste, lui humaniste, lui militant, pense plus utile de lutter pour assurer les droits des citoyens de son pays, lajja pour ceux et celles qui préférent abandonné leurs droits et quitter, de peur et sous la menace, leur terre.

Sudhamoy observe donc avec tristesse l'évolution dramatique de son pays qui s'abandonne à la Religion et, en 1992, à de violentes actions contre les Bengalis hindous. A la destruction d'une mosquée par des fanatiques hindous, en Inde, les fanatiques musulmans Bengalis répondent effectivement par la vengeance. Des milliers de temples sont dévastés, détruits, les hindous du pays sont assassinés, tués, menacés, spoliés, les femmes sont violées, enlevées. La population de confession hindoue au Bangladesh est victime d'un sentiment de haine et de vengeance exprimé par les fanatiques musulmans, dont les actions sont soutenues et approuvées par les autorités politiques qui, si elles appellent à la paix entre les communautés, ne réagissent d'aucune façon, leur silence et absence de réaction valant dans l'effectif approbation et acceptation.

Si Sudhamoy, jusqu'aux derniers instants du livre, préserve sa foi en l'humanité, s'il ne fléchit jamais face à la haine et la colère, si ses idéaux l'emportent sur les vils sentiments qui pourraient fort bien le traverser, son fils, Suranjon, s'abandonne lui au fils des pages. Communiste et athé comme son père, militant pour les droits et libertés des citoyens au Bangladesh, il partageait le combat de son père et travaillait à l'union de tous les Bengalis. Espérant qu'ils passent outre, un jour, les barbelés religieux implantés par le politique, il refusait de quitter le Bangladesh, considérant, comme son père, qu'il en serait une honte. Seulement le sentiment d'injustice puis l'enlèvement de sa soeur, Maya, sans doute violée et assassinée, éveille en lui des sentiments de haine et de vengeance. Progressivement, lui qui se refusait au communautarisme et qui portait de fortes critiques à l'égard de ceux qui s'abandonnaient, forçés, à ce sentiment, devient communautariste et commence à éprouver un vif sentiment de haine à l'égard de la communauté musulmane, ne se considérant plus et ne les considérant plus comme des Bengalis. Lui, homme bon et humaniste, en vient, par vengeance, à violenter et violer une prostituée de confession musulmane. Il est vaincu… de ce pays, il n'en veut plus, il est déçu. En l'Humanité il n' y croit plus. du socialisme, du communisme, il se désintéresse, considérant que ce ne fut rien d'autre qu'une perte de temps. Par un geste symbolique, il brûle, aux dernières pages du livre, toute sa bibliothèque. le savoir, la connaissance, l'espoir, l'humanité se consumment dans le feu de la haine et de l'ignorance. Sudhamoy et Suranjon, vaincus, décident alors de quitter le Bangladesh…. dans la honte.

Par ce livre au départ difficile à lire au vue des descriptions relativement longues et détaillées, que nous fait l'auteur, des exactions commises par les fanatiques musulmans à l'égard de la population de confession hindoue, Taslima Nasreen, nous raconte le combat intellectuel de deux hommes, père et fils, tous deux humanistes et athés qui place l'Homme au dessus de tout mais qui, en raison des comportements humains violents et haineux, vont finalement abandonner tout espoir en l'Humanité.

Fort est celui qui parvient à croire en ces idéaux malgré l'injustice, la violence et la haine dont il pourrait faire l'objet. Fort est celui qui ne s'abandonne pas à la haine de l'autre et en particulier à la haine de celui qui le considère comme ennemi. C'est, à mon sens, le combat le plus difficile et le plus éprouvant. Ne pas faillir à ses idéaux, ses principes, à sa foi en l'Humanité quand tout autour de nous nous y incline. Ne pas faillir devant le sentiment de vengeance, voilà qui, en pratique, parait extrêmement difficile, nous qui, êtres humains, sommes malléables, nous qui sommes plus enclins à résister à l'amour qu'à la haine. Et comment lire ce livre sans se demander, ne serait-ce qu'une seconde, à quoi il servirait de lutter pour un Idéal dans ce monde quand la majorité s'abandonne aux sentiments les plus vils? Ne faut-il pas être soit même idéal pour atteindre l'Idéal? Et comment se préserver des comportements extérieurs, comment parvenir à se maintenir dans un comportement idéal et vivre de cet idéal quand le monde dans lequel on est implanté ne l'est pas?

Ces questions se posent d'autant plus à mon égard que je possède une identité kurde et que le peuple kurde est parmi l'un des peuples les plus opprimés. Car comment ne pas se poser ces questions lorsqu'on est pris dans un conflit qui, dans le cadre de la Turquie, nous oppose à un régime politique qui, par sa propagande et sa répression, nous incline à un sentiment de colère et de haine? Comment ne pas devenir ultra nationaliste, dans le cas du peuple kurde, quand l'autre nous y enclin? Et pourquoi vouloir la création d'un pays qui pourrait, au lendemain de son indépendance, perpétuer un régime d'oppression et de répression comme se fut le cas au Bangladesh? Comment s'assurer que le nouveau régime ne sera pas pire ou le même que le précédent? Doit-on lutter? comment? par quels moyens? pour quels objectifs? Comment résister et ne pas devenir ce que l'autre nous pousse à être? Ce sont autant de questions qui se posent et que Taslima Nasreen me repose dans ce livre, à la fois roman et document.
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