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Critique de Meps


Meps
26 novembre 2022
Il y a certains livres dont je repousse régulièrement la lecture... et ce sont régulièrement des essais. On m'a souvent conseillé la lecture de "Libres enfants de Summerhill", notamment pendant ma formation d'éducateur spécialisé. Je crois que finalement cette lecture est arrivée au bon moment, celui où une autre expérience professionnelle indispensable pour moi à cette lecture m'était survenue... celle de parent d'un petit bonhomme de 4 ans !

Ma lecture aurait été tout autre il y a 5 ans je pense. En tant qu'éducateur, je ne peux que saluer la plupart des idées évoquées par l'auteur et encore plus à l'époque où elles ont été énoncées, soit les années 60 pour l'édition originale. Éloge de la liberté pour l'éducation des enfants tant qu'elle ne les mets pas en danger ou ne vient pas heurter trop fort celle des autres, condamnation des châtiments corporels, condamnation de la morale religieuse... et la plupart du temps de la morale tout court qui ne cherche qu'à culpabiliser les enfants, remise en cause de l'enseignement classique qui privilégie l'histoire, les mathématiques ou les langues vivantes plutôt que les matières pratiques qui permettent d'aider à la vie concrète... Tout cela semble tomber sous le coup de la logique quand on réfléchit à tous ces enfants qui sont mis à l'écart du système scolaire traditionnel, qui sont considérés comme des délinquants en puissance en fonction de quelques mots peu châtiés... et qui s'empressent du coup de donner raison aux étiquettes qu'on leur colle. L'amour inconditionnel comme remède principal pour ces écorchés vifs peut sonner baba cool soixante-huitard mais me semble pourtant être tellement utile dans sa bienveillance si simple mais j'en suis sûr si efficace.

Je sens l'inquiétude poindre en vous... En devenant parent, serais-je devenu un apôtre de la fessée et de l'éducation rigoriste et sévère ? Bien sûr que non... mais comme l'auteur le reconnait lui-même, cette liberté idéale vient se heurter à la société toute entière et son modèle quand l'enfant est élevé en son sein. Summerhill est une oasis où certains parents choisissent de faire grandir leurs enfants dans la liberté... mais en les y abandonnant finalement à d'autres, ce qui me paraitrait inconcevable avec mon fils ! Alors je m'efforce d'appliquer la plupart des préceptes énoncés, avec sans doute moins d'"extrémisme" que ne le prône Neill, lui qui a eu la chance de pouvoir vivre avec sa fille dans l'oasis qu'il avait lui-même créé !

Ce qui est rassurant c'est que l'auteur ne manque pas d'incohérences (qu'il pointe parfois lui-même d'ailleurs) quand ses grands principes viennent se heurter avec sa propre réalité.... prônant l'acceptation totale du bruit des enfants... sauf quand cela vient trop lui casser la tête ! Tout est réglé dans les assemblées collectives du samedi où la position du directeur ne gagne pas toujours ! Alors je fais avec mes propres compromissions, reprenant parfois le bonhomme sur quelques noms d'oiseaux, le frustrant de sa liberté et le grondant quand l'urgence des horaires du matin ne me permet pas de lui laisser toute latitude sur les activités souhaitées... je suis devenu parent en somme, bien heureux de ne pas me reconnaitre dans les portraits de parent anti-vie que dresse l'auteur... mais suis-je vraiment objectif ?

On ne peut passer sous silence certaines pensées un peu datées, sur l'homosexualité ou l'avortement, plutôt avant gardistes pour l'époque dans son non jugement et son ouverture, mais assez légers sur l'analyse. L'auteur reconnait dans ses premiers mots que "en matière de psychologie, nous ne sommes pas très avancés". Je confirme, il y a eu du progrès depuis. Même concernant l'image des femmes, ses idées sont plutôt en avance... mais ses observations restent engoncés dans des stéréotypes de genre (les activités que les filles aiment à Summerhill, leur tendance à se venger sur les gens alors que les garçons se vengent sur les objets, le fait qu'il faut que les femmes aient un travail... qu'elles pourront retrouver après avoir élevé les enfants)... On ne peut demander à un auteur d'être visionnaire et en avance partout !

L'ensemble m'a aussi plu par son côté iconoclaste, anti-religieux du fait de la morale liberticide, anti-capitaliste par sa volonté de ne pas faire dépendre le bonheur du seul bien possédé, anti-communiste par le pressentiment que l'idéologie ne pouvait pas mener les masses collectivement au bonheur suprême, anti-violence et anti-guerre, anti-anarchie par respect des autres humains.

L'école de Summerhill existe encore aujourd'hui et a survécu à son créateur puisqu'elle est aujourd'hui dirigée... par sa fille. Au delà de certaines limites qu'on pourrait pointer, je pense que notre système de protection de l'enfance n'aurait qu'à se féliciter que les foyers que je connais bien par ma profession ressemblent beaucoup plus à Summerhill qu'aux lieux de "moins pires" qu'elles sont actuellement... pour les meilleurs d'entre eux...
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