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Critique de pagivore1030


« C'étaient de bons élèves, comme moi. Ils avaient bien appris leur leçon, et moi aussi, alors si tu pouvais éteindre les lumières, si tu pouvais couper le téléphone, si tu pouvais arrêter de m'appeler, si tu pouvais te souvenir que toi et moi nous avons été et sommes peut-être encore les meilleurs amis du monde, si tu pouvais voir que je n'ai plus rien à avouer, si le navire de l'Histoire avait suivi une autre route, si j'étais devenu comptable, si j'étais tombé amoureux d'une autre femme, si j'avais été un amant plus vertueux, si ma mère avait été moins mère, si mon père était parti sauver des âmes en Algérie plutôt qu'ici, si le commandant n'avait pas besoin de me transformer, si mon propre peuple ne me soupçonnait pas, s'il me voyait comme un des siens, si on oubliait toutes nos rancoeurs, si on oubliait la vengeance, si on admettait que nous sommes tous des pantins manipulés par d'autres, si on n'avait pas fait la guerre entre nous, si certaines d'entre nous ne s'étaient pas appelés nationalistes ou communistes ou capitalistes ou réalistes, si nos bonzes ne s'étaient pas immolés, si les Américains n'étaient pas venus nous sauver de nous-mêmes, si nous n'avions pas acheté ce qu'ils nous vendaient, si les Soviétiques ne nous avaient jamais appelés camarades, si Mao n'avait pas cherché à les imiter, si les Japonais ne nous avaient pas appris la supériorité de la race jaune, si les Français n'avaient jamais cherché à nous civiliser, si Hô Chi Minh n'avait pas été dialectique et Karl Marx analytique, si la main invisible du marché ne nous tenait pas par la peau du cou, si les Anglais avaient battu les insurgés du Nouveau Monde, si en voyant l'homme blanc les indigènes avaient simplement dit, Certainement pas, si nos empereurs et nos mandarins ne s'étaient pas battus entre eux, si les Chinois n'avaient pas régné sur nous pendant mille ans, s'ils s'étaient servis de la poudre autrement que pour faire des feux d'artifice, si le Bouddha n'avait jamais existé, si la Bible n'avait jamais été écrite et Jésus-Christ jamais sacrifié, si Adam et Ève folâtraient encore dans le jardin d' Eden, si nous n'étions pas les descendants du dragon et de la fée, si leurs chemins ne s'étaient pas séparés, si cinquante de leurs enfants n'avaient pas suivi leur mère dans les montagnes, si cinquante autres n'avaient pas suivi leur dragon de père dans la mer, si le phénix de la légende était vraiment né une nouvelle fois de ses cendres au lieu de s'écraser et de brûler dans nos campagnes, s'il n'y avait ni Lumière ni Verbe, si le Paradis et la Terre ne s'étaient jamais séparés, si l'Histoire n'avait jamais existé, ni comme farce ni comme tragédie, si le serpent du langage ne m'avait pas mordu, si je n'avais jamais vu le jour, si ma mère n'avait jamais été pénétrée, si tu n'avais plus besoin de corrections, et si je ne voyais plus ces visions, s'il te plaît, pourrais-tu me laisser dormir ? »
(p. 447 à 449)

Rassurez-vous, cette phrase (2914 signes espaces compris) est sans doute la plus longue phrase du livre…
Si vous doutiez encore du fait qu'aucune guerre n'a jamais opposé les Bons aux Méchants, si comme moi, vous avez grandi en regardant les images de cette « sale guerre », si elle vous a fait connaître les mots impérialisme, communisme et même pourquoi pas idéalisme, si vous avez cru qu'en se battant, on construirait un monde meilleur, si vous avez été surpris de constater combien la mémoire collective est oublieuse, si à cette indignation-là ont succédé bien d'autres indignations sans que fondamentalement la marche du monde n'ait été modifiée… alors, sans doute, vous laisserez-vous emporter par la lecture âpre de ce roman…
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