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Critique de 2saori


"Sans surprise, peut-être, je suis un homme à l'esprit double. (...) Je suis capable de voir les problèmes des deux côtés."


Ainsi débute l'incroyable confession d'un agent double au sortir de la guerre du Vietnam. Son nom ne sera jamais prononcé, mais ses actions clairement explicitées.

Né de la relation cachée d'une femme vietnamienne et d'un prêtre français, sa dualité débute dès sa naissance.

Travaillant comme aide de camp auprès d'un général sud vietnamien, il est en fait une taupe vietcong, un espion communiste infiltré dans le camp capitaliste.

Son récit débute à la chute de Saïgon, lors de l'évacuation des derniers américains de la ville. Il parvient à faire fuir le général et sa famille vers les Etats-Unis.

"Une bonne partie de ces hommes prenaient la poussière en attendant les aides sociales et moisissaient dans l'atmosphère confinée de leur HLM, tandis que jour après jour leurs testicules se ratatinaient, consumés par ce cancer à métastases qu'on appelle l'assimilation et victimes de l'hypocondrie de l'exil."
Car il est évidemment question d'acculturation dans ce roman. Comment cette population déracinée a tenté de s'intégrer à la civilisation occidentale?
Le général garde l'idée de mener une contre offensive au Vietnam, mais finit par ouvrir un magasin de spiritueux. le narrateur va travailler à l'université. Les femmes, pour la plupart sans emploi dans leur pays d'origine, sont, elles aussi, obligées de travailler. La femme du général ouvrira, d'ailleurs, un restaurant vietnamien, La communauté étant toujours à la recherche de leur pays, par les odeurs, les aliments et même les horloges qui affichent l'heure de Saïgon. Les fêtes se font entre eux. C'est d'ailleurs le moment propice pour évoquer les souvenirs communs, moment également pour planifier une contre révolution. Mais le pays qu'ils ont quitté est-il toujours le même?

La guerre du Vietnam est enfin racontée du point de vue vietnamien. D'ailleurs lorsque le narrateur est appelé en tant qu'expert sur un film, intitulé le Sanctuaire, mais qui n'est pas sans nous rappeler Apocalypse Now, il a cette réflexion:

"Ne pas posséder les moyens de production peut mener à une mort prématurée, mais ne pas posséder les moyens de représentation est aussi une forme de mort. Car si nous sommes représentés par d'autres, ne risquent-ils pas, un jour, de décaper à grand jet d'eau le sol stratifié de la mémoire pour effacer notre mort?"
Les vietnamiens du film sont joués par des acteurs philippins ou coréens, les vietnamiens sont cantonnés aux rôles de figurants, ceux que l'on ne voit pas. Ces asiatiques ne parlent pas, ils poussent des cris, comme des animaux, font preuve de perversité. L'imagerie populaire est née. Elle demeure encore aujourd'hui. le roman remet les pendules à l'heure.

En retraçant le conflit à travers une taupe, les actes et leurs conséquences, évoqués sans parti pris, sans héroïsme aucun, l'auteur pose intrinsèquement la question de la légitimité de la violence en temps de guerre, et de l'impossible innocence. Jusqu'où cet homme peut-il aller pour protéger sa couverture? Son impunité, de part son statut d'agent double, est-elle sans fin? S'il n'a, durant la guerre, participé physiquement à aucune exaction, il pouvait être présent en tant qu'observateur. Est-il innocent des actes qu'il voit, qu'il ne tente pas d'arrêter, dans le seul but de protéger sa couverture? Jusqu'où peux-t-on aller par conviction idéologique?

Tour à tour roman d'espionnage, de guerre, roman politique ou historique, le premier roman de Viet Thanh Nguyen, prix Pulitzer 2016, est dense intelligemment mené. Aucun camp ne sort grandi par ce récit.

Lien : https://alombredeslivresblog..
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