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Critique de fanfanouche24


Dans son dernier roman, "Le palais des orties" publié aux éditions Gallimard, Marie Nimier raconte une histoire d'amour entre deux femmes. "L'ortie est la plante qui a une dualité intéressante pour une histoire d'amour" dit-elle. "Elle est piquante, on s'en méfie, elle est urticante, mais en même temps elle est pleine de qualités et de vertus," explique l'auteure…. En deux phrases, l'essentiel de cette fiction est donné ! Sa dualité…son ambivalence ainsi que son piquant indéniable !

Une très jeune femme , Frederica, surnommée « Fred », une woofeuse, offre ses bras dans une exploitation contre le gîte et le couvert !Personnalité solaire et mystérieuse, qui va chambouler la vie de toute la maisonnée !

Amusant et jubilatoire d'écrire un roman à partir de la culture d'une plante aussi peu aimée : l'ortie. Nous avons tous , des souvenirs d'enfance, pas spécialement plaisants ! Pour ma part, dans les terres intérieures de Bretagne, les orties ne manquaient pas, et le souvenir m'en est fort désagréable : la nourrice assez âgée qui prenait soin de moi, avait de brutales méthodes d'apprentissage pour les enfants : des fessées avec des orties !!! une époque… où éduquer un enfant s'apparentait plus à du « dressage » !...

… Alors retrouver cette fichue plante accompagnant toute une histoire, de famille, d'amour m'a intriguée et fait franchement sourire.
Frederica surgit dans l'histoire d'une famille plutôt sympathique, travailleuse, dans la débrouille et la bonne humeur , en dépit des difficultés à joindre les deux bouts, à payer les factures… Un couple uni, Nora et Simon, leurs deux enfants : Anaïs, 17 ans, en pension, mais en contact fréquent avec ses parents, toujours pleine d'idée nouvelles pour faire évoluer la ferme de ses grands-parents et parents…auxquels elle rêve de succéder… et le petit frère, Noé… ingénieux, inventif, assez proche de son père… qui se cherche comme tout préadolescent…

« Depuis qu'elle était partie en pension dans un lycée agricole, Anaïs avait plein d'idées pour que la ferme de ses grands-parents, qui était maintenant celle de ses parents, et peut-être un jour la sienne, puisse de développer. Elle croyait en un monde différent. Un monde où la richesse ne passerait pas par l'argent. » (p. 15)

Fred. Illuminera tour à tour la maisonnée, s'éprendra de son hôtesse, Nora…. N'en disons pas plus !…

De multiples descriptions touchant l'énergie déployée de toute la famille pour faire vivre cette exploitation… Un univers dynamique loin de nos préoccupations citadines, ou les journées sont dévorées par le travail, travail très physique…avec bien sûr la satisfaction des nouvelles idées lorsqu'elles apportent des résultats… même si il y a la vie à la campagne, un rythme sain, on a l'impression d'un effort sans fin, avec toujours un équilibre pécuniaire des plus précaires…Mais il y a aussi de la magie dans cet univers…où chaque chose possède également un relief particulier…même ce qui pourrait paraître anodin, ordinaire. Un univers où le regard a une autre attention, une autre densité. le style de Marie Nimier se révèle fluide et empreint d'une belle poésie ; comme l' extrait suivant nous le signifie dans l'extrême simplicité :

« L'argent coûte cher au pays des orties. (…) La vétusté des toitures, en l'occurrence, présente quelques avantages, dont un qui nous tient particulièrement à coeur : quand le thermomètre plonge en dessous de zéro, les gouttes de pluie s'immobilisent dans les trous de la tôle au lieu de glisser vers le sol et sculptent un ciel de pendeloques qui accrochent la lumière. Chaque année, on les photographie. C'est notre luxe à nous. Notre galerie des glaces. « (p. 51)

le titre de ce texte a été fort judicieusement choisi.
« le Palais des orties » , Un oxymore singulier : L'extraordinaire, le somptueux associé à la plante la plus modeste, la plus impersonnelle qui soit…Comme ce rayon de soleil aveuglant que représente l'arrivée et la personnalité de Frederica dans un univers du labeur, du quotidien rivé aux éléments les plus terre à terre. Un contraste des plus saisissants : contraste dans la personnalité des personnages, comme contrastes dans le contenu des existences : la jeunesse, le monde installé de deux adultes, d'un couple, deux enfants qui vont vers leur avenir, à construire, et une fée clochette qui passe dans tout ce petit monde comme une météore, ne pouvant que faire rêver ou fantasmer, puisqu'elle ne fait que passer, qu'elle est l'AILLEURS. Cet ailleurs inconnu, qui fait peur et attire !

Dans cette histoire passionnelle , l'ortie prend toute sa force symbolique.

« Les orties sont des plantes rudérales, du latin –rudus, ruderis, décombres. Comme la pensée tricolore, le mouron des oiseaux, le chardon et les pissenlits, elles aiment les friches, les terres abandonnées et, de manière plus générale, s'installent sur des sols sans compétition, souvent altérés par la main de l'homme. Leur cycle de vie est court, leurs propriétés innombrables. Fred n'était pas arrivée seule au Palais, elle était venue avec son histoire, et son histoire s'était répandue sur nous comme les orties prospèrent en terrain perturbé. Ensemble, nous avions réussi à repousser le passé. (p. 250) »

Une lecture singulière où on se laisse embarquer, en dépit de l'abondance de certaines descriptions techniques, pouvant sans doute rebuter certains lecteurs. Pour ma part, j'ai passé outre…et me suis laissée porter par le style et la petite musique personnelle de l'auteure !
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