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Critique de motspourmots


J'avais besoin d'un roman qui m'embarque tout de suite et ne me lâche plus. Un roman qui ne laisse pas mon esprit s'égarer vers des questions sans réponse pour l'instant. Gaëlle Nohant m'a offert ce précieux répit, quelques heures arrimées à d'autres destins, non pas légères - les questions abordées sont trop importantes et dramatiques - mais denses, dépaysantes, immersives, instructives. J'ai toujours aimé les romans dont le héros ou l'héroïne est photographe, professionnel ou amateur, alors au début, j'ai eu un peu peur d'en avoir déjà trop vus. A tort. le choix de Gaëlle Nohant n'a rien de superficiel, bien au contraire. Tout au long du roman, il est question du regard, celui du photographe qui aide à décrypter le monde, à révéler les êtres dans ce qu'ils ont de plus profond et souvent caché à l'oeil non averti.

On a déjà beaucoup parlé de ce livre, donc vous êtes nombreux à connaître le pitch : dans les années 50, Eliza Donneley s'installe à Paris sous un nom d'emprunt et devient Violet Lee pour ses nouvelles connaissances. On apprendra peu à peu les raisons qui l'ont poussée à quitter précipitamment Chicago, la bonne société, son mari et leur fils de 8 ans pour ce cacher de l'autre côté de l'Atlantique dans un hôtel miteux, tout en la suivant dans sa nouvelle vie, non exempte de péripéties. Accro à la photographie depuis que son père lui a offert son premier appareil, Violet/Eliza ne se sépare jamais de son Rolleiflex et c'est avec ses yeux que nous, lecteurs captons l'essence de ces années d'après-guerre entre les deux rives de la Seine. Des quartiers populaires aux brasseries et caves de Saint-Germain, du Luxembourg aux faubourgs d'Aubervilliers le regard et le pas de Violet s'affirment et se superposent à ceux d'Eliza encore meurtris d'avoir dû abandonner son enfant. Les destins sont faits de rencontres et celui de la jeune femme ne déroge pas à la règle ; de quoi consolider sa posture lorsque, de nombreuses années plus tard, elle retournera à Chicago où se joue un moment crucial de l'histoire des États-Unis.

Il y a deux raisons essentielles à l'intérêt de ce roman. D'abord le coup de projecteur donné à la lutte des Noirs américains contre une ségrégation de fait sur un territoire censé ne pas les discriminer, raison de leur migration des états du sud vers ceux du nord. On sent que Gaëlle Nohant s'est totalement imprégnée du sujet au point de fondre son propos de façon particulièrement fluide dans la trame romanesque du roman ; ce sont bien les personnages, y compris les (superbes) seconds rôles qui portent l'ensemble et offrent aux lecteurs une expérience immersive, toujours bien plus agréable qu'un cours magistral. Mention spéciale aux scènes des manifestations de 1968 au moment des primaires démocrates dans un Chicago où se mêlent cortèges anti guerre du Vietnam et défenseurs des droits des Noirs sur fond d'assassinat de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Vivantes, vibrantes, jamais trop appuyées mais spectaculaires, à hauteur de l'appareil photo de Violet/Eliza. Et puis, il y a comme une déclaration d'amour à la ville de Chicago que l'auteure nous fait partager par l'intermédiaire de son héroïne, la saisissant dans toutes ses contradictions mais aussi ses forces, et donnant follement envie d'aller voir un peu sur place.

Au final, cela donne un très bon roman qui a le mérite de montrer le travail du temps, ce qui est appréciable à une époque où nous sommes habitués à convoquer le changement d'un claquement de doigts. Ici, le temps fait son oeuvre, révélant progressivement la femme jusqu'à ce qu'elle soit prête à affronter son destin qui se confond avec celui des citoyens américains au moment d'affronter le leur. Véritable hymne à l'engagement, invitation à l'action, hommage à ceux qui luttent et superbe portrait de femme : que demander de plus ?
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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