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Critique de LaBiblidOnee


Etrange ambiance, à la fois si confortable et délicieusement troublante, que celle de ce premier opus en forme de thriller fantastique, où le jeu se mêle à la réalité pour nous plonger dans une réalité virtuelle : un plateau de jeu grandeur nature que l'on croit être Venise mais qui pourrait, les tomes suivants nous le révéleront peut-être, s'avérer être bien plus vaste et se constituer du monde entier voir même, pourquoi pas, représenter symboliquement la vie entière.


« Les jeux, au contraire de la vie, ont une structure, un motif, un ordre à respecter. Jouez, et tous les mystères seront révélés. »


Venise, donc, 17ème siècle. Un homme ordinaire échange son titre contre l'argent de la femme Thene, qu'il épouse sans amour. Son malheur en amour le rendra-t-il heureux aux jeux, dans lesquels il noie son oisiveté et dépense l'argent qu'il n'a pas pour tenter d'exister ? Rien n'est moins sûr. Car comme tout joueur compulsif, il ne sait pas s'arrêter et finit toujours par perdre. Et pour faire souffrir sa femme autant qu'il souffre lui-même, il l'oblige à l'accompagner dans la Maison des Jeux où il joue l'argent de leur ménage.


Nous découvrons alors avec avidité une Venise secrète, faite de sombres ruelles enchevêtrées et de masques troublants, de confidences et de mystères, de pouvoir et de convoitises… Nous comprenons vite, avec Thene, que l'argent n'est pas le seul enjeu de ce lieu énigmatique : ici nous sommes observés, nous sommes jugés, estimés et évalués. Et si nous sommes assez bons, alors la Maîtresse du Jeu vient nous trouver, et nous enrôler. Thene, qui finira par jouer, se fera remarquer. le jeu de rôle qu'on lui proposera alors suppose de manipuler des pions de chair et d'os. Son plateau de jeu : Venise. Son jeu ? le jeu des Rois. le but ? Faire élire le pion qui lui a été attribué, un notable du coin, au poste convoité de Tribun au lieu des quatre autres pions notables en vue, joués par d'autres joueurs sélectionnés. Les règles ? Elles tiennent dans une petite boîte en argent, abritant également les cartes qu'elle aura en main et pourra décider d'abattre le moment venu. Ces cartes représentent des acteurs politiques, économiques, religieux ou populaires de Venise, mis à disposition de Thene par la Maison des Jeux pour accomplir la mission qu'elle voudra leur confier. Mais qui sont ces gens et contre quoi acceptent-ils de jouer leur propre vie ?


Ce n'est pas la seule question à résoudre. Bien vite, nous nous sentirons tout petits dans ce jeu qui nous dépasse. Il se murmure en effet que le « jeu politique » dont la partie se déroule sous nos yeux, ce plateau de jeu grandeur nature, n'est lui-même qu'un petit aperçu de ce qui se joue à échelle réelle dans le monde entier. Car qui d'entre nous est absolument certain de n'être pas qu'un pion supplémentaire sur l'échiquier ? Mais alors qui dirige tout cela ? D'où ? Et pourquoi ? Si le jeu des rois s'achève en apothéose à la fin de ce premier tome, obtenir les réponses à toutes nos questions demandera de poursuivre avec les suivants.


En première ligne : Quel est ce « nous » qu'on nous a collé en guise de narrateur, que Thene semble « voir » à la fin de sa partie mais dont on ne nous révèlera rien pour le moment ? On lui doit en tout cas une fière chandelle puisqu'il nous trimballera, durant tout le récit, d'alcôves les plus secrètes en gondoles les plus isolées, nous détaillera les faits, gestes et mimiques révélatrices de chaque personnage. Enfin, ce pronom mystérieux nous intègre au jeu en nous permettant de nous identifier à ceux qui sont derrière, espionnant ou tirant les ficèles de que l'on appelle « destin »… Et si derrière toutes les guerres, toutes les peines et chaque victoire, il n'y avait en réalité que des joueurs qui s'affrontaient uniquement pour gagner, au détriment de tous les autres pions innocents que nous sommes ? Qui nous manipule, nous place et nous déplace ? Nous fait nous élever… ou mourir ? Sommes-nous le jouet de quelqu'un ? Se joue-t'on de nous ? Autant de questions désagréables qui interrogent notre propre place dans la société et dans l'univers en mêlant, avec habileté et une finesse tout juste dérangeante, le réel (on plonge sans mal dans les rues de Venise, on visualise et transpose aisément les jeux politiques, maçonniques et de réseaux que l'on connaît) et l'imaginaire (quelle puissance se cache en réalité derrière la maîtresse des jeux...?) - avec lequel je ne suis pourtant pas toujours à l'aise en littérature.


En vérité, « Quel destin n'est pas pendu entre le caprice d'un inconnu et le mépris de l'univers ? »


« La vie est vécue au fil de choses qui ne sont pas vraies. (…) Nous sourions à ceux que nous voulons détruire, nous nous allions avec ceux que nous ne respectons pas, nous admirons notre propre intellect et cherchons toujours la récompense suprême. Nous désirons la gloire, tous autant que nous sommes, et, pour l'obtenir, nous ne nous soucions pas de regarder ceux que nous avons détruits en chemin. Un jeu est tout cela et plus encore, plus noble, car ceux qui jouent à tout le moins se transcendent, voient à la fois les conséquences de leurs choix et le plateau dans son ensemble. Je ne crois pas qu'il y ait de plus noble vocation que le jeu, et je voudrais vous permettre d'y participer. »


« Et toujours la Maison des Jeux, la Maison des Jeux qui vit, qui tourne, la Maison des Jeux qui attend.
Et mon amour également.
Le denier tourne.
Le denier tourne.
Et nous voilà enfuis. »


C'est le jeu de la vie.

Merci Chrystèle pour cette idée de lecture, sur un thème classique mais bien réalisé ! Une agréable et pertinente utilisation de l'imaginaire mettant en relief les dérives et turpitudes humaines.
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