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Critique de boudicca


En 2003, des militants antifascistes, libertaires et radicaux issus du réseau No Pasaran se réunissent pour fonder le collectif Offensive libertaire et sociale. Jusqu'en 2014, ce dernier publie une revue trimestrielle dans laquelle militants, intellectuels et chercheurs s'interrogent sur les différentes facettes du capitalisme et les alternatives qu'on peut lui opposer. Aujourd'hui disparu, le collectif voit toutefois ses publications ressurgir grâce aux éditions l'Échappée qui proposent des regroupements thématiques de plusieurs articles parus dans la revue d'origine. C'est ainsi que naît « Divertir pour dominer, la culture de masse contre les peuples », un ouvrage qui regroupe donc tous les textes d'Offensive consacrés à quatre grandes thématiques : la télévision, la publicité, le sport et le tourisme. Ce qui intéresse ici les auteurs, c'est la culture de masse, qui apparaît au début du XXe siècle et qui peut être définie par l'ensemble « des oeuvres, objets et attitudes conçus et fabriqués selon les lois de l'industrie et imposés aux hommes comme n'importe quelle marchandise ». La réflexion proposée ici est passionnante car elle questionne de manière radicale notre mode de vie et la manière dont le capitalisme parvient à s'insinuer dans les moindres recoins de notre quotidien. La réflexion est d'autant plus salutaire que le thème de la culture de masse est difficile à critiquer, notamment à gauche, en raison de la confusion opérée entre démocratie et libre circulation des biens de consommation (qui revient à dire que critiquer l'industrie de la culture, c'est critiquer la démocratie). Au delà de la standardisation et de la marchandisation généralisée, quelle critique peut-on donc émettre à propos de cette culture de masse ? Les différentes interventions qui se succèdent ici visent à montrer (avec succès, à mon sens) que nous avons été totalement dépossédés de notre imaginaire car nous avons tous intériorisé l'imaginaire technolibérale, porté par le développement d'une culture du divertissement permanent.

La première partie (« Cassez vos écrans – La spectularisation du monde ») se penche sur le cas de ce petit écran désormais présent dans quasiment tous les foyers et devant lequel les Français passent de longues heures chaque semaine. La critique de la télévision n'est pas nouvelle, et on retrouve ici des arguments aujourd'hui fort bien connus : elle rend notre esprit perméable aux messages véhiculés par la publicité, elle pousse à la léthargie par son hypnotisme, elle implique de par sa nature un appauvrissement de l'information… La réflexion se fait plus intéressante lorsque les auteurs abordent la question de la substitution par la télévision des représentations au réel : en la regardant, on est persuadé d'être témoins de la réalité, alors que cela ne nous viendrait pas à l'esprit avec un livre qui est vu (comme devrait l'être le petit écran) comme un simple intermédiaire et non le réel lui-même. le chapitre se conclut par un constat à mon sens d'une grande pertinence et qui demeure aujourd'hui d'actualité : la virtualisation du monde véhiculée (notamment) par la télévision « éloigne l'individu du monde réel et de ses possibilités d'intervenir sur lui. ». La deuxième partie (« Homo publicitus – Une domestication quotidienne ») reprend elle aussi bon nombre de critiques éculées (confusion entre désir et besoin, infantilisation de l'individu réduit à ses émotions...) mais les développe de manière assez poussée tout en dévoilant des aspects inattendus. Après avoir retracé brièvement l'histoire de la publicité et ses premières manifestations, les interventions successives visent à démontrer que celle-ci n'est pas un excès du capitalisme mais est au contraire indispensable à son fonctionnement. Une société qui produit le nécessaire pour vivre n'a pas besoin de publicité qui ne devient indispensable qu'avec l'apparition de la production en masse des biens de consommation. « Il faut alors écouler les surplus, convaincre la population de l'utilité des nouveautés, différencier des produits de plus en plus standardisés, valoriser des marchandises dont la qualité laisse de plus en plus à désirer ». Il ressort également de la lecture de ces articles l'idée selon laquelle la publicité parvient à nous faire oublier qu'un produit vient de quelque part, qu'il soit le fruit d'un travail humain ou qu'il ait été arraché à la nature. On assiste alors à une dissociation croissante entre la production et la consommation : « les producteurs ne consomment pas ce qu'ils produisent, et les consommateurs de produisent jamais ce qu'ils consomment ».

La troisième partie (« On hait les champions ! - Contre l'idéologie sportive ») m'intriguait bien plus que les deux autres dans la mesure où, si les bienfaits de la télévision et de la publicité sont aujourd'hui de plus en plus remis en question, le sport, lui, possède toujours une popularité qui semble inoxydable. Première mise au point : par sport, les auteurs n'entendent pas activité sportive (laquelle est évidemment à encourager) mais plutôt « la compétition généralisée au niveau local, national et international, avec ses règlements, ses techniques codifiées, ses contraintes bureaucratiques ». Une fois les confusions dissipées, l'ouvrage développe différents arguments qui tendent à montrer que l'idéologie sportive, loin d'être émancipatrice pour les individus, s'inscrit au contraire dans la parfaite continuité de l'idéologie capitaliste. D'abord parce que le sport est un magnifique producteur de diversion politique qui permet de pacifier la lutte des classes. Ensuite parce qu'il repose sur des valeurs qui sont celles du capitalisme : performance, rendement, compétition. La quatrième et dernière partie (« L'horreur touristique – le management de la planète ») se penche sur la question du tourisme, de son essor, alors que les moyens de transport et le mode de vie occidental se développent, à son apogée actuelle (il est aujourd'hui la première activité économique mondiale). le principal argument utilisé pour dénoncer le tourisme est la mise en concurrence de plus en plus visible des espaces et une « folklorisation » des peuples qui nuit à la fois à l'environnement mais aussi aux populations locales (hausse des prix de l'immobilier, domestication de la nature, destruction des cultures, villes désertées de leurs véritables habitants et uniquement peuplées de touristes...). La recherche d'authenticité, devenue le leitmotiv de l'industrie touristique, aboutit ainsi de plus en plus à la destruction de ce qui est justement vendu : on promet de l'exotisme, une nature préservée, des populations au mode de vie éloigné du notre, or le déferlement permanent de voyageurs étrangers contribue justement à la disparition de ces milieux « préservés ». L'ouvrage revient également sur le tourisme sexuel, qui concerne majoritairement des hommes venus de pays occidentaux et des enfants ou des jeunes femmes originaires d'Asie. A travers une très intéressante interview, l'article démontre comment ces rapports de domination reproduisent des logiques coloniales qui sont encore très profondément ancrées dans les esprits occidentaux.

« Divertir pour dominer » est un ouvrage qui offre une réflexion radicale et très pertinente sur la culture de masse et son rôle dans la domestication des individus et l'acceptation par ces derniers de l'idéologie libérale. L'objectif est de livrer une critique intransigeante de nos modes de vie et des valeurs capitalistes véhiculées, entre autre, par la télévision, la publicité, le sport ou encore le tourisme. Tous les articles recensés ici ne provoquent pas le même engouement, mais l'ensemble de la réflexion proposée est passionnante, ne serait-ce que parce qu'elle nous incite à repenser notre environnement et à prendre conscience de l'étroitesse de l'imaginaire qui nous est offert via cette culture de masse. A noter qu'un deuxième volume, toujours consacré à ce même sujet mais développant d'autres de ses aspects (l'art contemporain, les séries, les jeux vidéo, le porno…) est paru en 2019.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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