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Critique de Dandine


Les nombreuses dietes essayees n'ont servi a rien. Ma pal reste dodue (vous remarquerez que je reste politiquement correct). Pourtant je pousse le vice jusqu'a me glisser dans les recommandations que m'envoie l'ordinateur de Babelio. J'y retrouve cet Ortese, qui pique ma curiosite. J'avais ecrit un billet, qui avait fini noye, emporte par les vagues, par le temps, par l'oubli. Est-ce que j'avais interesse d'autres lecteurs? Attire d'autres critiques? Sans grande surprise, et a mon grand dam, je vois que non. Il est donc temps que je reposte quelque chose. Ma B.A. du moment.


C'est un livre que devraient lire tous les amateurs de la Naples de Ferrante, tous les ferus (comme moi) de la Naples de De Luca. Et avant de le lire abandonner tout espoir en une quelconque poetisation de cette mythique ville, des quartiers populaires ou des quartiers plus chics. Parce que dans une prose imposante dans son acrete Ortese decrit une Naples accablee et accablante. Vivante mais mortifere. Elle s'en est excusee beaucoup plus tard, invoquant un etat de nevrose, mais pour le lecteur d'aujourd'hui comme pour celui des annees 50-60 du siecle dernier, le resultat, l'atmosphere qui se degage, est decidement obscure: la mer ne baigne pas Naples. Et le soleil ne l'illumine pas non plus mais la rend noire.


Ce n'est pas un roman mais une sorte de puzzle. Des nouvelles. Des reportages journalistiques, peut-etre romances. Et un long rapport de la vie litteraire, ou plutot de l'etat des litterateurs de la ville.

3 nouvelles qui decrivent la misere de ceux qui habitent des “bassos”, ces rez-de chaussee qui ne recoivent de la lumiere que par la porte, ceux qui peuvent difficilement payer des lunettes a une petite “aveugle” (“pour ce qu'il y a a voir!”), ceux qui frequentent assidument les monts-de-piete, ceux qui – meme quand ils gagnent assez d'argent – doivent subvenir aux besoins de familles elargies.

Puis nous entrons dans “La cite involontaire”. La commence le delire. L'immeuble Granilli: une des choses a voir a Naples, apres les ruines, la Solfatara et le cratere. Des ruines humaines. 3 etages, 348 “appartements”. En moyenne 3 familles par appartement, 3000 personnes. “Seule une societe profondement malade pourrait tolerer, comme Naples tolere, la putrefaction d'un de ses membres”. 95% des gosses sont rachitiques, tuberculeux, syphilitiques comme leurs parents, dont ils imitent comme jeu les gestes de copulation: il n'y a pas d'autres jeux ici, hormis les lancers de pierres. Ortese crie la douleur, le desespoir qui s'en degage. Si dans les premieres nouvelles il y avait un propos d'individualiser la vie napolitaine, ici le sujet est la multitude, “cette grande multitude de spectres, melant la decadence humaine a l'immutable decence des choses, obtenait ce sourire equivoque, ce sentiment d'une mort en cours, surgi de la pourriture”. Il n'y a de raison qu'en le sexe et de conscience qu'en la faim. Et meme hors des Granilli, “sous le soleil les rues se teignent de noir, le soir les ruelles sont grises, pleines d'immondices de toutes sortes, parmi lesquels jouent des enfants aux gestes obscenes”. “Tout le monde crie, avec une voix douce, cassee, chanteuse, mais plus proche de la plainte que de la si louee allegresse napolitaine”. Partout “on marche sans objet, on parle sans raison, on se tait sans motif”.
Respirons. du moins, essayons de respirer pour continuer la lecture.

Ortese se surpasse quand elle essaye de faire un reportage sur les jeunes litterateurs napolitains, ses anciens amis du groupe “Sud”. La majorite a succombe a la ville. Prunas, qui editait la revue du groupe, Compagnone, Grassi, Gaedkens, Prisco, Incoronato, sont finis; ils sont immobiles, ce sont des spectres de qui ni la litterature, ni la ville, ni la vie ne peuvent rien attendre. Il y en a qui ont eu un leger succes, comme Rea, La Capria, Pratolini, mais Rea mis a part c'est parce qu'ils ont quitte la ville pour de meilleurs cieux, Milan, Rome. Naples fait fondre tout talent, toute ambition. Ou, dans les mots de Gaedkens: “Par chance, rien ne peut nous offenser. C'est le seul avantage de Naples”.


Ortese avait quitte Naples avant d'ecrire ce livre. Avec lui elle a signe sa bannition definitive. Ses tardives excuses ne peuvent effacer ses ressentis quand elle parcourait les “rues defuntes”, les “paysages immobiles” de Naples de l'apres-guerre, cette “coulee de lave faite de pus et de dollars”. La mer ne baignait pas Naples et “tout, ici, sentait la mort, tout etait profondement corrompu et mort, et la peur, seule la peur, errait entre la foule de Posilippo a Chiaia”.

Ortese nous sert une Naples noire de noir, desesperante, un antidote aux descriptions mythiques, poetisees. Voir Naples et mourir? Oui, peut-etre. Mais pour d'autres raisons que celles transmises par les cartes postales.
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