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Critique de berni_29


« Tandis que je mourais là-bas à petit feu, je voyais surtout cette rivière qui comptait plus que tout dans ma vie et que je chérissais. Je l'aimais tellement, qu'avant de me mettre à pêcher je ramassais son eau dans mes mains en coquille et je l'embrassais comme on embrasse une femme. »

Je referme ce livre, Comment j'ai rencontré les poissons, et j'entends encore couler dans l'âme de son écrivain Ota Pavel, le chant merveilleux et nostalgique d'une rivière qui a compté plus que tout dans sa vie.
Ce livre rassemble de joyeuses et poignantes histoires qui tournent souvent autour de la pêche à la carpe, à la truite, à l'anguille... Mais toutes ces histoires truculentes et touchantes forment un beau prétexte pour l'auteur de nous parler de son père pour lequel il a toujours éprouvé une profonde admiration. Ah ! Parlons de son père, ce représentant de commerce d'une célèbre marque d'aspirateur, homme volage par nature qui aspirait sans cesse à un désir de liberté, que son épouse et mère de trois enfants n'a jamais cessé de rechercher à chacune de ses impossibles escapades amoureuses...
La légende familiale dit qu'il aurait même vendu des aspirateurs dans un village tchécoslovaque non relié à l'électricité.
La légende familiale dit que sa femme qui l'aimait, - et qu'il aimait, ne cessait de lui pardonner ses échappées amoureuses, peut-être parce qu'elle savait consciemment ou inconsciemment qu'elles étaient vaines...
En apparence, nous sommes invités à de fameuses parties de pêche à la hauteur d'un enfant avec toute la tendresse et la gouaille que cela convoque, mais si l'on regarde un peu plus loin le paysage en toile de fond en cette veille de seconde guerre mondiale, on entend déjà le bruit de la barbarie à visage humain, l'antisémitisme qui grimpe dans cette Europe centrale, ici à Prague ou ailleurs... Oui, il faut le dire, les Popper, - c'était le vrai nom de la famille de l'auteur, sont juifs et les chroniques qui nous sont ici partagées par Ota Pavel ne manquent pas d'évoquer ce contexte douloureux.
Cette tragédie traverse ces chroniques puisque le père et les deux frères de l'écrivain seront déportés au camp de concentration de Terezín, d'où ils reviendront vivants, les parties de pêche pourront enfin recommencer. J'ironise, mais je pense sincèrement que cette passion partagée dans la famille, en particulier entre un père et son fils, fut un bel antidote à la barbarie nazie qui avait tenté d'anéantir l'humanité.
Une des histoires qui m'a le plus touché est peut-être celle qui invite un gardien de pêche un peu bancal mais fin limier, sorte de Quasimodo des rivières... Elle convie toute l'espérance inattendue qui surgit au dernier moment, celui qu'on n'attend plus...
Une autre barbarie les attendait au lendemain de la guerre, plus pernicieuse, celle du communisme qui avait la volonté d'apporter le bien à tout un peuple. Plus tard les Juifs seront de nouveau des boucs émissaires désignés par le régime totalitaire en place.
Mais ce régime tout aussi intrusif qu'il est, - qui continue de l'être sous une autre bannière, non plus sur ce territoire vaste de l'Union Soviétique mais désormais cantonné à la seule Russie de Poutine, n'aura jamais de prise sur la jubilation folle d'une partie de pêche ni sur la nature enchanteresse qui accueille ce bonheur. Non, ils n'ont jamais réussi à voler cela. Ils ne le voleront jamais.
Ota Pavel a un sens inouï de la narration, il sait nous raconter des histoires, j'avais l'impression à chaque instant d'être à ses côtés au bord de cette rivière, à l'intérieur des forêts, à la lisière d'un rêve protégé du reste du monde.
Je vous avoue avoir pleuré à la fin de ma lecture, je ne saurais dire pourquoi, ne me le demandez pas, je déteste pourtant la pêche... Peut-être que je pense tout simplement à mon Papa ce soir, qui sait...?

♫ Si l'on ne voit pas pleurer les poissons
Qui sont dans l'eau profonde ♪
C'est que jamais quand ils sont polissons
♫ Leur maman ne les gronde
Quand ils s'oublient à faire pipi au lit
Ou bien sur leurs chaussettes ♪
Ou à cracher comme des pas polis ♪
Elle reste muette
♫ La maman des poissons elle est bien gentille
Elle ne leur fait jamais la vie ♪
♫ Ne leur fait jamais de tartine
Ils mangent quand ils ont envie ♪
♫ Et quand ça a dîné ça redîne
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