AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de PedroPanRabbit


  Si "La famille Addams" et "Les Monstres" figurent au panthéon des séries horrifiques des années 60, il existe une troisième production télévisée qui, dans un registre moins familial, les talonnait de près (voire les a supplantés) dans le coeur des téléspectateurs : "Dark Shadows". Resté inédit dans les pays francophones et quasi inconnu jusqu'au remake réalisé par Tim Burton pour le grand écran, ce feuilleton de plus de mille épisodes diffusé sur les écrans américains entre 1966 et 1971 est pourtant resté un grand succès populaire.

    Créée par Dan Curtis, réalisateur de séries et téléfilms d'horreur, "Dark Shadows" est un mélange des genres assez inhabituel lorsqu'elle débarque à l'écran. Soap Opera dans la pure veine du genre mais auquel le scénario greffe progressivement des éléments gothiques jusqu'à sombrer dans le fantastique complet, c'est un peu "Des jours et des vies" ou "Dynastie" qui rencontre "Dracula". L'intrigue se déroule dans le Maine, au manoir des Collins, famille semble-t-il maudite depuis des générations. Si seule l'atmosphère teintée de mystère faisait le surréalisme du scénario au cours des premiers épisodes, c'est peu à peu que les auteurs ont invité fantômes et monstres dans l'histoire, avant que les audiences n'explosent lorsque le personnage de Barnabas fait son entrée en scène. Cet ancêtre des Collins, transformé en vampire à la fin du XVIIIème siècle par Angélique, une sorcière dont il avait refusé l'amour, resurgit brusquement en plein coeur des années 60 et doit composer autant avec sa nature complexe qu'avec les autres malédictions qui pèsent sur les épaules de ses descendants.

    A l'origine d'un véritable fan club et de plusieurs événements culturels, adaptations et reboot (notamment "La malédiction de Collinwood", remake sous forme d'une mini-série également réalisée par Dan Curtis en 1991), "Dark Shadows" a laissé une empreinte particulière dans l'histoire télévisée des États-Unis, de même que ses nombreux interprètes. Parmi ceux-là, Lara Parker a marqué les esprits dans son rôle mémorable d'Angélique Bouchard, la sorcière par qui la malédiction s'abat sur les Collins. Au début des années 90, elle est interrogée, à l'occasion du reboot, sur les origines de son personnage : savait-elle comment Angélique était devenue une sorcière ? Inspirée par cette question, la comédienne se replonge dans la série et dans les nombreux écrits auxquels le show a donné naissance et imagine dans "Angélique's descent", un roman publié en 1998, l'histoire de la sorcière.

    A la fois préquel, novélisation et continuité de l'univers de "Dark Shadows", ce livre rencontre un certain succès et amène Lara Parker à écrire deux suites. Lorsque le remake réalisé par Tim Burton voit le jour en 2012, les éditeurs américains le réimpriment et les droits sont parallèlement achetés en France par la maison Michel Lafon. L'estampille "L'histoire qui a inspiré le film de Tim Burton", accrocheuse, n'en est pas moins trompeuse – ou, disons, piégeuse. Si livre et film puisent dans la même source, le ton est radicalement différent : là où Burton s'amuse d'un regard rétrospectif sur le feuilleton pour offrir une version décalée, colorée et punk (avec en prime un humour noir qui n'est pas sans rappeler "La famille Addams"), le roman de L.Parker, plus sombre et plus psychologique, est plus fidèle à l'esprit dramatique souhaité par la série originale.

    Aussi faut-il prendre le temps de s'acclimater à l'atmosphère du livre et d'y prendre ses marques avant de profiter de la lecture : ceux qui y recherchent le mordant et l'irrévérence de Burton pourraient être déçus. Cela dit, la série étant inédite dans l'Hexagone, il est conseillé d'avoir vu le film pour raccrocher les wagons à minima, car l'intrigue du livre commence sans préavis ni précision : le décor est déjà planté, et le lecteur doit avoir les principaux codes du show en tête pour comprendre les tenants et aboutissants de l'histoire. Lorsque l'action débute, Barnabas Collins arrive au terme du traitement prodigué par le Dr Julia Hoffman, médecin des Collins qui a trouvé un sérum contre le vampirisme. Alors en voie de guérison, Barnabas découvre au cours d'une nuit étrange le journal intime d'Angélique – la sorcière qu'il a autrefois ardemment désirée et qui l'avait maudit quand il s'était détourné d'elle. Curieux de mieux comprendre les agissements de cette créature qu'il déteste pourtant de tout son corps, il se plonge dans la lecture...

Pour un premier roman, reconnaissons que le style y est. Lara Parker puise certainement dans sa longue expérience du personnage d'Angélique pour mettre des mots sur sa psychologie et son histoire, chose pour laquelle elle n'emprunte jamais le chemin de la facilité. Loin, en effet, de simplement raconter une créature belle et froide animée par la vengeance, elle creuse en profondeur sa psyché en tentant de l'éclairer par les événements traumatiques qui l'on progressivement façonnée. Pour cela, elle imagine une enfance en Martinique, terre du Vaudou. L'intrigue s'enrichit dès lors d'une dimension exotique nourrie de nombreuses recherches qui donnent une réelle épaisseur à l'histoire, sans jamais tomber dans l'écueil du prétexte. Petit à petit, d'un événement à un autre, l'autrice parvient à nous amener jusqu'au personnage connu des téléspectateurs : fillette abandonnée, instrumentalisée, violentée puis femme bafouée, c'est dans une lutte contre les autres puis contre elle-même qu'elle se trouve prise au piège de la sorcellerie. Sans pour autant chercher à renverser les rôles des bons et des méchants, Lara Parker offre une vision très féministe de son personnage.

    Si cet aspect est particulièrement intéressant et si l'évolution psychologique d'Angélique tient le lecteur jusqu'au terme du livre, la lecture est parfois complexifiée par une construction très inégale et maladroite de l'intrigue. C'est d'ailleurs là qu'on perçoit que Lara Parker, si elle s'en tire plutôt bien en ce qui touche au style, reste une novice dans l'écriture de fiction. La temporalité et le rythme son assez mal maîtrisés, les plongées dans le journal d'Angélique alternent entre seconde et première personne sans raison, et les ellipses, nombreuses, ne sont pas du tout employées à bon escient. Si cela ne suffit pas à gâcher la lecture, ces accrocs empêchent une fluidité qui aurait été bienvenue.

En bref : Entre préquel et novélisation, ce roman sur l'univers de "Dark Shadows" propose de redécouvrir l'une des familles les plus horrifiques du petit écran américain par le personnage iconique d'Angélique Bouchard. Lara Parker, sa célèbre interprète à l'écran, s'improvise autrice et imagine le passé de cette antagoniste cultissime ; l'interprétation féministe, bien pensée, et le contexte historique, extrêmement bien documenté, servent une écriture plutôt réussie. On regrette cependant quelque peu une construction inégale et un rythme maladroit qui limitent le plaisir de la lecture.
Commenter  J’apprécie          00







{* *}