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Critique de Lucilou


Lorsque j'étais en fac de lettres, j'ai eu la chance d'avoir la meilleure professeure de littérature médiévale du monde. Vraiment.
Madame M. était passionnante et passionnée, si habitée par ses sujets qu'elle gagnait à sa cause même les plus réfractaires à sa matière (oui, c'est à vous que je pense, dixhuitièmistes adeptes de la raison et de l'Encyclopédie!) qu'elle rendait terriblement vivante, actuelle. Non seulement, c'était une érudite mais elle possédait en plus ce petit supplément d'âme qui transformait ses cours en véritables voyages dans le temps, en moments d'une drôlerie irrésistible, en scène de théâtre. Elle savait comme personne suspendre son cours au moment clef et nous laisser assoiffés de savoir, de connaissance. Ce cours était plus magique que magistral et j'y retournerais bien.
Au delà des "traditionnels" romans de la Table Ronde et de leurs origines, cette enchanteresse (si elle eut été personnage de roman, elle aurait été Merlin, sans aucun doute) a su nous passionner pour "La Chanson de Roland" et pour "Le Roman de Renart" dont je ne soupçonnais pas la profondeur et la complexité. Au delà aussi du fond des textes, elle s'est attachée à nous en faire comprendre tout l'implicite, tous les non-dits (et ils sont si nombreux en littérature médiévale. Ainsi, qui sait quel secret de Charlemagne se cache dans "La Chanson de Roland"? Et que dire des ténébreuses origines de la Sainte Lance et du Saint Graal qui ne viennent pas de là où l'on croit?). Ensuite, elle s'est acharnée à nous en faire repérer et comprendre les symboles, cachés ou pas. Je me me souviens de notre ébahissement lors de son exposé sur Anubis devenu Saint Christophe ou sur la portée psychopompe des nains et plus tard des cordonniers... Pour finir, elle nous a encouragé à être curieux, à lire les historiens, les chercheurs. Qui dit symboles, dit Pastoureau et c'est grâce à Madame M. que je suis tombée dans le chaudron de cet éminent historien.

Michel Pastoureau fait partie de ces historiens qui ont révolutionné l'étude de l'Histoire au cours des années 1970 en élargissant les champs de recherche. Plutôt que de s'intéresser à la Grande Histoire et aux "grands événements" politiques et militaires, lui et d'autres se sont penchés sur des sujets novateurs, apparemment anecdotiques mais qui ont pourtant forgé notre identité culturelle et notre civilisation. C'est ainsi qu'après l'héraldique, Michel Pastoureau s'est penché sur l'histoire des couleurs et leurs perceptions -ses ouvrages sont passionnants et se dévorent comme des romans- puis sur le rapport des hommes aux deux animaux "rois" du moyen-âge (l'ours -pauvre roi déchu- et le loup incompris), retraçant à cette occasion l'histoire socio-culturelle de ces deux fauves.

Moi qui croyais (ô vanité!) bien connaître l'oeuvre du savant, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans la bibliothèque d'un ami "Les Animaux Célèbres" que je ne connaissais pas et que l'ami en question m'a prêté de bonne grâce.
Dans cette ouvrage et avec la fluidité, la pédagogie et le talent de conteur qui ressortent toujours de son écriture Michel Pastoureau se propose de revenir sur quarante animaux célèbres de notre histoire (du serpent de la genèse à Donald en passant par Nessie, du boeuf et de l'âne de la crèche aux chiens de Charles IX en passant le cochon de Saint Antoine) afin d'étudier les rapports entretenus par l'homme et l'animal d'un point de vue culturel, symbolique, social, économique et religieux. Chaque chapitre se divise en deux parties: la première relate l'anecdote et la seconde en constitue l'analyse. le choix des animaux, forcement imparfait (c'est un choix!) est très bien équilibré puisque on en trouve 12 pour les périodes préhistorique/biblique/antique, 8 pour l'ère médiévale, 7 pour la période moderne et 9 pour l'époque contemporaine. En outre, on trouve autant d'exemples connus et reconnus (le Bête du Gévaudan ou l'âne de Buridan) que méconnue (le léopard anglais ou la girafe de Charles X).

Le travail fourni par Pastoureau est clair, très riche, véritablement passionnant et je me suis délectée de ses analyses et des informations qu'il nous transmet et qui permettent de comprendre bien des choses quand à notre propre rapport à certains animaux.
Je n'ai qu'un regret: l'ouvrage se voulant d'un abord très pédagogique, j'ai parfois été très frustrée par certains chapitres dans lesquels on sent que l'auteur n'est pas allé au bout, qu'il est en surface alors qu'il lui en reste tellement sous la semelle, tellement à dire, comme si Pastoureau détenait encore tellement de savoir (et de secrets, ça me fait toujours cet effet, les symboles: un effet de codes déchiffrés et de secrets dévoilés). Chaque animal ou presque mériterait son propre ouvrage. Ce petit point de déception est par ailleurs complètement excusée et expliquée par le format proposé. Il suffit de se plonger dans les ouvrages postérieurs sur l'ours et le loup pour approfondir, au moins sur ses deux là et comprendre qu'on ne peut faire entrer quarante études exhaustives dans un seul livre. Finalement, "Les animaux célèbres", c'est un peu l'amuse-bouche. Il y a ceux qui seront calés à l'apéritif et les ceux qui ont encore faim.

Au delà du contenu de l'ouvrage, il me reste une observation, un détail qui m'a bien chagrinée mais ce dernier n'est, du reste, pas imputable à l'auteur mais plutôt à la maison d'édition: pourquoi diable avoir choisi un lapin pour l'illustration de la couverture alors qu'il n'est fait mention nulle part de ce mignon quadrupède dans le livre? Cela créé une attente forcement déçue… et puis ce n'est pas comme si il n'y avait pas assez d'iconographie sur les quarante sujets de l'ouvrage.
Non, vraiment, je m'interroge!..

Heureusement, l'habit ne fait pas le moine et il ne faut pas juger un livre à sa couverture.











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