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Critique de KaoriKaonashi


Avec Cinq ans ferme histoire d'une violence, Ilya Pavlova décide de nous offrir son témoignage.
En préambule, je voudrais saluer le courage de l'autrice. Ecrire sur soi, c'est se mettre à nu, c'est se regarder en face, c'est affronter son passé. L'on ressent que ce travail d'écriture fait partie de son chemin vers la résilience. Elle écrit avec cette idée de partage et de prévention. de manière très posée, il y a également une part de colère, une volonté d'alerter, de faire bouger les lignes - qui se voit par le choix du titre, et explicitement dans les dernières pages du livre.

Le témoignage : anorexie, violences, pervers narcissique

Ilya narre sa petite enfance heureuse chez ses grands-parents.
Les difficultés arrivent bien vite, quand à l'âge de neuf ans, ses parents décident de la reprendre sous leur toit. Elle est confrontée à un environnement hostile, à la colère de son père, elle sombre dans l'anorexie.
Elle devient une femme, une épouse, puis une mère. Après quelques années, elle quitte son mari, lequel a sombré dans l'alcoolisme.
Loin de pouvoir paisiblement prendre un nouveau départ, elle est frappée par la maladie, rongée par le cancer, et maigrit de nouveau.

C'est dans ce contexte de solitude (liée à sa faiblesse physique), qu'elle rencontre Paul, celui qu'elle appelle au début "son prince charmant".
Les ressorts de l'emprise, de la manipulation se mettent en place.

Le témoignage d'Ilya fait ressortir les mécaniques du pervers narcissique, l'homme aux deux visages,
celui qui offre tout - piège sa victime -, puis exige tout d'elle, avec humiliations et dévalorisations, en brandissant le "tu me dois bien ça!",
- celui qui se nourrit de la destruction de l'autre,
qui s'exhibe sans cesse en pleine lumière et ne supporte pas qu'on puisse lui voler la vedette,
celui pour qui l'autre doit être "rentable", et à sa disposition à tout moment,
celui qui n'a pas d'argent pour sa femme mais en a pour sa maitresse,
celui qui a tout fait, tout vu, qui a toujours raison, celui qui en réalité ne sait que manipuler les autres, les faire faire, et s'approprie ensuite le mérite.

Par ce livre, Ilya Pavlova contribue à démasquer les pervers narcissiques et sensibiliser à la violence psychologique. Paul était prompt à donner des coups, mais derrière les bleus, il y a tout ce travail psychologique d'emprise à analyser. Ce qui fait que la victime reste, qu'elle n'est parfois même pas tout à fait consciente d'être une victime - tant le bourreau parvient à inverser les rôles, et à tirer sur la corde de la culpabilité.

Le style d'écriture : direct et efficace, sans fioriture

Ilya évoque ses souvenirs, déroule le fil de sa vie de manière chronologique. On ne trouve pas de dialogue entier, elle ne retranscrit pas de manière descriptive des scènes qui ont eu lieu. Elle décrit les faits marquants, tels qu'ils ont été, ce qui en fait un roman bref - qui va droit au but.

Un témoignage engagé qui interroge notre système : quelle protection pour les femmes ? Quelle sanction pour les bourreaux ?

Les dernières pages du livre posent un double constat :

1) les gendarmes, les policiers et les juges n'ont pas les moyens, notamment juridiques, pour protéger convenablement la victime. D'ailleurs, le dossier de Paul a révélé de nombreuses main-courantes déposées par ses ex. Sans parler de sa première femme, qu'il a poussé au suicide.
A titre personnel, il a fallu attendre 2 ans et 7 mois après ma plainte pour que mon ex soit placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de m'approcher... On parle de plus en plus de lutte contre les violences faites aux femmes - mais concrètement - quelle protection avons-nous ?

2) le système judiciaire protège le coupable. Quand on parvient à porter plainte, à prouver la culpabilité du prévenu, le verdict tombe et parait toujours dérisoire en comparaison du chemin subi par la victime, et du chemin de reconstruction qu'il lui reste à parcourir. Peine dérisoire qui fera encore l'objet de remise de peine.
Comme le dit Ilya, pour elle ça a été 5 ans fermes, 5 années de violence. Comment ne pas s'insurger que le coupable s'en sorte avec un 1 an ferme (qui pourra être modifié avec le juge de l'application des peines), et principalement du sursis ?
Pour ma part, après la décision du tribunal correctionnel, l'on m'a expliqué que je devais être satisfaite de sa peine, car sans casier judiciaire et inséré professionnellement, 8 mois fermes (aménagés sous forme de bracelet électronique tout de même) c'était inespéré. Comment ?
Je suis encore à me débattre sous le poids de ce passé, mais lui a purgé sa peine, il a remis son masque, il exhibe ses réussites sur les réseaux sociaux, il est entouré de ses victimes, trop heureuses de servir leur gourou, et doit se dire avec cette aventure judiciaire "plus de peur que de mal".

Ilya dit qu'elle ne pardonnera pas : on ne peut pas pardonner quand la justice nous laisse avec un besoin de reconnaissance insuffisamment satisfait.

En conclusion, un témoignage comme il en faudrait davantage. Je souhaite à Ilya la reconstruction et l'apaisement.
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