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23 décembre 2011
Dès son introduction Olivier Pétré-Grenouilleau nous rappelle quelques faits et quelques points de méthode :

L'histoire globale est forcement comparative,
« A l'heure de l'histoire mémoire, une déportation organisée d'êtres humains, la plus importante de tous les temps, continue ainsi d'être largement oubliée »,
« L'analyste qui reconstitue les événements a posteriori a trop souvent tendance à considérer que le déroulement qu'il a lui-même contribué à construire correspond à quelque chose de logique et d'inéluctable . On sait évidemment qu'il n'en est rien ».
La partie introductive de l'ouvrage d'Olivier Petré-Grenouilleau expose l'engrenage négrier avec l'invention de la traite et la place de l'Afrique noire comme acteur à part entière de cette traite. Une série de thématiques seront abordées autour du rôle de l'expansion musulmane, le choix du système de plantation américaine, de la main d'oeuvre africaine différenciée de la main d'oeuvre amérindienne et des travailleurs blancs sous contrat, la place de la traite dans l'organisation fonctionnelle de l'Afrique noire.

La première partie du livre présente l'essor et l'évolution des traites négrières. L'analyse fouille les modes de production des esclaves, le rôle des pouvoirs en place et celui des entrepreneurs privés. Les traites orientales et internes seront comparées aux traites occidentales entre autres pour l'acquisition et le transport des esclaves.

Le flux et le reflux des traites donnent lieu à une analyse quantitative, les hypothèses chiffrées sont assises sur le croisement des données disponibles ou d'hypothèses argumentées permettant d'élaborer des scénarii plausibles tant pour les traites occidentales, que pour les traites internes.

A l'issue de cette partie, l'auteur fait ressortir que « tout en étant connectées, traites occidentales, orientale et africaine continuèrent sur le temps long à répondre à leurs propres logiques. »

La seconde partie décrit les processus abolitionnistes avec notamment des développements sur les sources du mouvement abolitionniste, l'exemplarité et l'importance du modèle britannique. La « machine » abolitionniste nécessitera de convaincre pour interdire, de réprimer pour faire cesser. Les « adieux qui n'en finissent pas » se déclineront de manière différentes suivant les zones géographiques.

Si le processus abolitionniste en occident est plutôt connu, il n'en est pas de même pour celui en Afrique et en Orient. L'éradication de la traite en Afrique sera difficile et l'auteur insiste sur le rôle des esclaves dans le processus.

Les rapports entre colonisation et traite ne seront pas oubliés et donc abordés dans leurs dimensions en partie contradictoires.

La troisième partie du livre revient sur le traite dans l'histoire mondiale.

Pour la traite dans l'histoire de l'occident, O. Pétré-Grenouilleau analyse la rentabilité de cette traite en faisant ressortir « la très grande irrégularité des profits, à l'origine de réussites spectaculaires comme retentissantes faillites » puis met en rapport les dynamiques sociales et le développement économique en nous rappelant « qu'en histoire, un ordre de succession chronologique ne saurait être confondu avec un facteur de causalité ».

Des chapitres particuliers sont consacrés aux différentes configurations régionales.

Je souligne le chapitre 7 « La traite dans l'histoire de l'Afrique et du monde musulman » qui sera au centre de la polémique publique. Ce chapitre, compte tenu de la nature des sources écrites, nécessite un travail méthodologique en profondeur pour « évaluer la ponction démographique et ses conséquences pour l'Afrique ».

L'auteur, et je partage cette orientation de recherche, contrairement à d'autres ne néglige pas la part africaine : « Une histoire dans laquelle, comme partout ailleurs, les élites locales ont souvent eu la meilleure part. Dire cela, c'est penser que l'analyse affinée de la traite comme catalyseur ou frein de la dynamique politique et sociale africaine serait peut-être en mesure de renouveler la quête, classique et importante, mais en partie illusoire, d'un bilan global de la traite qui serait mesurable en termes de profits et de pertes. C'est aussi refuser l'idée selon laquelle toute transformation n'a pu s'opérer que par la médiation de l'Occident ou du monde musulman. C'est enfin croire que les Africains ne furent pas seulement des victimes, des collaborateurs ou des opposants aux influences venues de l'extérieur, mais aussi des acteurs de leur propre histoire. »

Un sous chapitre est consacré à la traite souvent négligée, voir déniée dans l'histoire du monde musulman.

Dans sa conclusion, l'auteur nous invite à revisiter des horizons plus ou moins connus, de refuser les a-priori. « La compréhension des différentes parties d'un système composite est impossible sans la compréhension du comportement du système dans son ensemble (Freeman Dyson). »

Une lecture incontournable sur un sujet très humain dans son infamie même.

Une fois de plus cet ouvrage et les polémiques soulevées autour de la libre recherche comparative des historiens interroge sur la fonctionnalité des lois mémorielles, en l'occurrence ici la loi Taubira.

Plus généralement, une réflexion devrait se développer sur l'écart grandissant entre histoire érudite et simplifications scolaires ou vulgates journalistiques, entre savoirs scientifiques et expressions politiques. Comment rendre accessible la complexité du monde, comment s'appuyer sur les expertise scientifiques pour débattre et assumer des choix démocratiques ?
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