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Critique de YvesParis


Que restera-t-il du XXème siècle ? L'Histoire en retiendra sans doute les crimes horribles qui y furent commis. Elle relèvera aussi que l'humanité, tiraillée par la culpabilité et désireuse de se réconcilier avec elle-même, a, dans ce même XXème siècle, et pour la première fois peut-être de son histoire, accepté de reconnaître et d'expier ses crimes.

C'est ce phénomène de repentance qu'analyse avec brio Philippe Moreau Defarges. Ce prolifique auteur traitait, dans ses précédents ouvrages, des relations internationales, avec une grande clarté et un esprit de synthèse. S'éloignant de ses terrains de prédilection, il traite avec un égal succès cette question nouvelle, à l'intersection des relations internationales, de l'histoire et de la science politique. Il éclaire les fondements de cette vague de repentance qui semble balayer le monde des années 90, depuis les déclarations du président Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv jusqu'aux prétoires australiens reconnaissant aux aborigènes des droits fonciers, en passant par la commission sud-africaine pour la vérité et la réconciliation présidée par Mgr Desmond Tutu et la reconnaissance par l'Assemblée nationale du génocide arménien.

Cette mode de la repentance a, selon Philippe Moreau Defarges, plusieurs causes.Tandis que disparaît la raison d'Etat, l'exigence de justice ne cesse de croître. L'Etat perd toute immunité : à lui d'assumer la responsabilité des crimes qu'il commet. Dès lors que “ l'oeil est toujours dans la tombe ” (Victor Hugo), les Dix-Huit Brumaire ne resteront pas impunis : Pinochet aujourd'hui, Castro et Kabila demain peut-être en témoigneront.

Si la repentance est par ailleurs exigée, c'est que la victime, glorifiée par les opinions publiques, a désormais droit de parole. La seconde moitié du siècle, nous dit Philippe Moreau Defarges, est “ l'époque de la prise de parole des “ vaincus ”, des muets, des inférieurs ”. A l'âge démocratique les relations du vainqueur et du vaincu sont en fait ambiguës. D'un côté le vainqueur exige du vaincu une capitulation morale, une repentance. C'est que la victoire ne sourit plus seulement au plus fort, elle sourit à celui qui a raison. Cette ordalie débouche logiquement sur les jugements de Tokyo ou de Nuremberg au lendemain de la seconde guerre mondiale. le vaincu n'est pas pour autant privé de ses droits. Par un curieux renversement, le vaincu peut culpabiliser le vainqueur de sa victoire, en exigeant de lui une repentance. C'est tout le processus en oeuvre chez les peuples anciennement colonisés d'Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande) ou d'Amérique (Amérindiens, esclaves noirs).

Si les causes de la repentance sont multiples, ses manifestations ne le sont pas moins. La typologie de Philippe Moreau-Defarges est robuste. Il distingue quatre grands types de “ repentance-réconciliation ”. D'abord les repentances spectaculaires : celles suscitées par le génocide juif, celles de l'Eglise catholique (laquelle, sous le pontificat de Jean-Paul II, a adopté pas moins de 90 textes où elle reconnaît ses fautes historiques : croisades médiévales, traite des Noirs, persécution de Galilée, excommunication de Luther ...). L'auteur fait montre à leur égard d'un scepticisme excessif. Selon lui, “ aucune repentance ne peut être séparée d'un rapport de forces ”. La Realpolitik récupère-t-elle décidément toujours la repentance à son compte ?

A l'opposé des “ repentances spectaculaires ”, Philippe Moreau Defarges évoque les “ repentances refusées ”. Celles de la Turquie à l'égard du peuple arménien ; celle du Japon qui tarde à se repentir des crimes commis durant la seconde guerre mondiale. Tout se passe comme si avoir subi les bombardements nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki empêchait les Japonais d'opérer leur Vergangenheitsbewältigung (littéralement : domination, maîtrise de son passé). Autre catégorie : les “ repentances improbables ”. L'auteur évoque ici tour à tour la responsabilité américaine dans l'utilisation de l'arme atomique au Japon (mais s'agit-il d'une faute, qui appelle repentance ?), l'anéantissement des populations indiennes d'Amérique du nord et l'asservisssement des esclaves noirs (les Etats-Unis ne se repentent-ils pas de ces crimes, notamment dans leur production cinématographique depuis Danse avec les Loups jusqu'à Amistad ?), l'exode des populations palestiniennes de la terre d'Israël.

Entre ces deux catégories, Philippe Moreau Defarges traite de la question connexe de la réconciliation. Celle-ci ne passe pas toujours par la repentance. La réconciliation suppose parfois l'oubli. Quand les armes enfin se taisent au sein d'un pays déchiré par la guerre civile, la meilleure solution n'est-elle pas de tourner la page ? Si une authentique paix civile réclame sans doute tôt ou tard un processus d'expiation des crimes commis, celui-ci ne se fera-t-il pas au péril du retour à la paix ? Si souvent les dictateurs acceptent de céder le pouvoir sans effusion de sang, c'est précisément avec la promesse d'une loi d'amnistie qui garantira leur impunité : la péninsule ibérique dans les années 70, le continent latino-américain dans les années 80 en donnent l'exemple.

Mais l'amnésie est-elle une thérapie efficace ? Elle l'est peut-être dans le court terme ; mais elle ne saurait être définitive. Tôt ou tard, une communauté doit faire face à son Histoire. La France en porte témoignage, laquelle, depuis soixante années ne cesse d'être déchirée par le syndrome de Vichy (Henry Rousso) faute pour elle d'avoir dès l'après-guerre rompu avec la lecture “ résistantialiste ”. La conclusion de l'auteur est sombre, là où le phénomène qu'il analyse semblait si positif : si l'oubli est impossible, si la repentance est toujours et partout instrumentalisée, “comment vivre ensemble” ?
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