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Critique de SZRAMOWO


«Nous reprochera-t-on d'avoir rapporté des souvenirs d'un mauvais lieu et de le divulguer ?»
Cette question figurant dans l'introduction rappelle qu'en ouvrant la «Porte dévergondée» André Pieyre de Mandiargues veut nous emmener « sur la spirale d'un escalier par lequel on descend dans un espace qui est quelque peu au-dessous du niveau où la plupart des hommes font aller leurs pieds, leurs pensées et leurs propos ».
Les quatre récits du recueil (écrit en 1965) : Sabine, La grotte, le théâtre de Pornopapas, le fils de rat, ont été conçus pour «choquer le spectateur ou lʼauditeur. Dans ses convictions, dans ses sentiments les plus honorables, dans sa bien-aimée culture, dans sa pudeur, dans son goût, celui-là est choqué».
Le titre à lui seul mérite qu'on s'y attarde. Au-delà de la signification de dévergondée (celle qui est sans vergogne ou sans vergonde, sans honte), la porte dévergondée n'est-elle pas aussi une porte qui est sortie de ses gonds ? La question mérite d'être posée.
Autre tic littéraire de André Pieyre de Mandiargues, l'épigraphe à clefs placé en tête du recueil, suggère qu'il n'est pas écrit à destination d'un lecteur lambda :
Va, petit livre et choisis ton monde... (Töpffer)

La première nouvelle Sabine est le récit du suicide de l'héroïne dans une chambre d'hôtel :
«Et si la salle de bain, qui est une ancienne chambre qui fut transformée, paraît plus vaste que la chambre à coucher, ce nʼest pas tant lʼeffet du moindre encombrement que celui de lʼéclat des robinets et des tuyaux, celui surtout de la blancheur des murs laqués, du carrelage et des cuvettes en porcelaine. Or cette blancheur est salie, ce brillant est souillé. Les robinets, les cuvettes, les murs et le carrelage sont éclaboussés de sang, dilué à plusieurs endroits par la vapeur dʼun bain très chaud, comme lʼencre dʼun lavis sur du papier humide»
Sabine, séduite par le Lieutenant Luques, un habitué de l'Hôtel des Lavandières et sa chambre 11 dite «chambre à la loutre» se retrouve seule, abandonnée par ce séducteur vil et sadique ; elle en vient à imaginer son suicide et passe à l'acte de façon déterminée dans cette même chambre 11 où son sang a coulé une première fois.

Dans le deuxième nouvelle, La Grotte, Denis, «Un homme à l'aspect de prêtre ivre» erre dans un «quartier vétuste et galant» à la recherche d'une courtisane.
«Ne crains rien, dit-il. Ne te fâche pas. Je ne suis pas de police, je ne suis pas un truand non plus, ou ce quʼon appelle un sadique. Je nʼai pas envie de te fouetter, ni dʼêtre fouetté par toi. Je ne veux pas tʼhumilier, et je ne te demanderai pas de me cracher au visage ou de mʼinsulter. Je ne te lierai même pas. Non. Mais jʼai décidé dʼaller ce soir, pour mon plaisir et mon instruction, dans un musée fait pour moi tout seul, et dʼy voir des tableaux quʼon nʼait jamais vus. Tu es à peu près la clé quʼil faut pour mʼouvrir mon musée. Et je suis curieux de voir ce qui va pousser autour dʼune fille comme toi»

Denis emmène Mina à l'hôtel du bar du Sarcophage et là :
« Denis se voit lui-même en train de monter un immense escalier dont chaque marche correspond à un coup de reins quʼil donne, comme un coup de baguette à chaque note d'une suite de gammes [...] Mina, la fille, est support, instrument, guide »
Denis dérive vers des visions qui le conduiront dans une grotte où la fille git, enchaînée et immobile, lui-même «dans une aliénation qui diffère peu de la béatitude.»

Dans le théâtre de Pornopapas, le héros, Antonin Bisse est transporté à Salonique, en rêve, dans un «(...) bar qui s'est édifié à partir des matériaux laissés en vrac dans sa mémoire (...)» ; « anciennes machines à sous, peintes en rouge vif (...)» ; « le maquereau Criton » ; «une putain dont les cheveux teints au henné font un contraste plaisant avec les gros sourcils noirs.» ;
Criton propose de l'emmener « dans la cale de la Klytemnestra, (...) une vieille citerne (...) le rendez-vous de l'élite de la marine marchande »
«La nuit est chaude, quoiqu'il tombe quelques gouttes de pluie.»
Loin de la ville, ils trouvent le vieux rafiot et sa salle de théâtre montée dans la cale « de longues banquettes dépourvues de dossiers, rangées transversalement dans la coque, coupées depuis la proue (qui est à l'arrière du théâtre.)»
Le clou du spectacle est Oedipos, Pornopapas, qui brandit «un gros bâton, plus long qu'une canne et moins qu'une houlette.» ; «sans cesser de danser, il commence à chanter.»
C'est pour mon papa dit-il en brandissant le bâton et soudain, chante c'est pour ma maman en brandissant son sexe factice : «un tube de matière coriace et cartonneuse, pareil aux étuis phalliques dont font parade dans leurs danses les sorciers africains.»

Le fils de Rat : Venise, une gargote à poissons, un homme et une femme, des touriste, «Notre hôte eut l'air d'être flatté que nous eussions décidé de manger dans la boutique...»
Une altercation entre le «friturier» et un client : «J'avais le dos tourné, fils de rat.
Mais tu iras manger dehors. Personne ici ne veut de toi.»
La femme compatit et l'invite à sa table :
«Fils de rat ? dit-elle. Pourquoi donc te donnent-ils ce nom là ?
Et le malheureux paria raconte comment il a été sauvé de la mort par le jugement du rat. Sept hommes condamnés à mort debout sur des caisses ouvertes. Un rat lâché dans la pièce. Celui qui se tient sur la caisse dans laquelle le art se réfugiera est gracié.

La porte dévergondée : exercice de style, écriture remarquable, images volées, fantasmes retrouvés.
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