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Critique de HordeDuContrevent


Lu dans un cadre professionnel, ce livre me semble tellement important que j'ai eu envie d'en faire un résumé.

Si je vous dis tantale, antimoine et vanadium, vous pensez à quoi ? Si à ces mots vous associez spontanément une araignée, une méthode anticléricale radicale et un médicament sensé faire dormir, alors ce livre est fait pour vous. Je viens en effet de vous donner les noms, pour le moins exotiques, de trois métaux dits rares parmi la trentaine qui existe. Ces métaux qui, depuis les années 70, font l'objet de toutes les attentions, de tous les espoirs du fait de leurs fabuleuses propriétés magnétiques et chimiques. Utilisés notamment en abondance dans les technologies vertes et celles du numérique. C'est dire leur importance croissante !

Les métaux abondants comme le fer, le cuivre, le zinc, l'aluminium, par exemple, coexistent avec une famille de métaux rares. Ces derniers sont donc associés aux métaux abondants, mélangés à eux dans l'écorce terrestre mais dans des proportions souvent infimes, d'où le terme de rareté utilisé. Ils représentent ainsi une toute petite production annuelle et sont de ce fait relativement onéreux.
Le must du must en matière de métaux rares sont les terres rares (les terres rares sont donc une famille de métaux rares). Elles ont en effet de stupéfiantes propriétés électromagnétiques, optiques, chimiques, catalytiques. Il y aurait 17 terres aux noms encore plus exotiques que les métaux rares cités en préambule (yttrium, scandium, samarium…) - idéal pour trouver un prénom original -. Ce sont ces terres rares notamment qui ont permis d'avoir tous les objets plus petits, via les aimants de terres rares, bouleversant au passage l'électronique moderne.

Ces métaux rares seraient à la base du « capitalisme vert », dans lequel nous remplaçons peu à peu des ressources qui rejettent des milliards de tonnes de gaz carbonique par d'autres qui ne brulent pas. Pas de CO2 , donc moins de pollution mais en même temps plus d'énergie. Paradisiaque n'est pas ? D'ailleurs leur utilisation croissante est source de guerre de territoire et de convoitises, d'où le titre de l'auteur.

Vive la voiture électrique, les énergies renouvelables et les technologies numériques ! Véritable enthousiasme lorsque l'on réalise qu'il y a, de plus, convergence des transitions numériques et écologiques, le numérique décuplant les potentialités des technologies vertes. Voilà la solution à nos problèmes me direz-vous.
Que nenni, mille fois hélas, et c'est ce que se propose Guillaume Pitron de décortiquer dans ce livre. Et c'est édifiant.

Trois problématiques sont en ligne de fond de son essai : la problématique écologique, la problématique économique et industrielle et la problématique géopolitique. Je me concentrerai ici surtout les aspects écologiques.


Problématique écologique donc tout d'abord.

Notre quête d'une croissance plus écologique a conduit à l'exploitation intensifiée de l'écorce terrestre pour extraire les métaux rares. Les impacts environnementaux sont encore plus importants que ceux générés par l'extraction pétrolière. Les problèmes écologiques générés par les métaux rares sont de deux ordres : leur extraction et leur recyclage.

Leur extraction tout d'abord car n'oublions pas qu'ils sont totalement mélangés aux métaux plus abondants. Un peu comme du sel dans le pain, la farine étant la roche, l'eau le métal abondant et le sel le métal rare. Ce raffinage nécessite de broyer la caillasse, puis d'employer de nombreux réactifs chimiques et nitriques avec utilisation de beaucoup d'eau qui va alors se charger d'acides et de métaux lourds…ce qui n'est pas sans répercussions sanitaires lourdes.

Donc avant même leur mise en service une éolienne, un panneau solaire, une voiture électrique portent un déplorable bilan énergétique et environnemental. C'est bien le coût écologique de l'ensemble du cycle de vie des technologies vertes qu'il faut mesurer et non seulement le coût écologique sur leur seul usage.

Prenons la voiture électrique. Elle est censée consommer moins d'énergie certes. Sa fabrication cependant requiert plus d'énergie que l'usinage d'une voiture classique. Ceci à cause des batteries, très lourdes, souvent des batteries lithium-ion composées à 80% de nickel, 15% de cobalt, d'aluminium, de lithium, de cuivre, d'acier, de graphite, extraits dans des conditions humainement et écologiquement répréhensibles en Chine, au Kazakhstan, en République démocratique du Congo. A cela s'ajoute leur raffinage puis leur logistique nécessaire à leur transport et leur assemblage. Ainsi l'industrialisation d'une voiture électrique consomme 3 à 4 fois plus d'énergie qu'une voiture conventionnelle. Certes, lorsqu'on regarde le cycle de vie complet les avantages d'une voiture électriques sont réels…si et seulement si son autonomie ne va pas au-delà des 120 km. Avec une autonomie de 300 km il y a un doublement des émissions de carbone générées au cours de la phase d'usinage. Quand on pense que Tesla va aller vers l'autonomie de 600km…

Guillaume Pitron met en valeur par ailleurs le bilan écologique des technologies numériques, censée nous faire accéder à la sobriété énergétique. En effet, elles permettraient de concevoir des réseaux électriques intelligents résolvant le problème de la production saccadée d'énergie par le soleil et le vent, elles permettraient ensuite d'atténuer l'impact carbone des activités humaines en favorisant la consommation collective (exemple de Blablacar) et en permettant une dématérialisation croissante (télétravail, commerce électronique, téléprocédures, stockage numérique des données).
En réalité, le digital nécessite l'exploitation de quantités considérables de métaux (la fabrication des seuls ordinateurs et téléphones portables engloutit 19% de la production globale de métaux rares comme le palladium, 23% du cobalt…), il engendre également un fonctionnement accru des réseaux électriques (1 mail avec 1 pièce jointe représente 1h d'une ampoule basse consommation). Sans parler des systèmes de refroidissement des data center qui consomme chaque jour chacun l'équivalent d'une ville de 30 000 habitants.

Le recyclage des métaux rares à grande échelle est-il envisageable permettant plus de sobriété énergétique ? de nombreux pays collectent déjà des déchets électroniques, comme le Japon où 300 000 tonnes de terres rares dormiraient à travers le pays. le problème du recyclage des métaux rares est son coût. Comme ils n'entrent pas à l'état pur dans la composition des techniques, il faut désallier ces matières suivant des techniques lourdes, coûteuses, employant beaucoup de produits chimiques et d'énergie. Nous en arrivons au paradoxe selon lequel la récupération des métaux rares et plus cher que la valeur de ces métaux. Donc rien ne se fait. Ou si peu…


Problématique économique et industrielle ensuite.

En nous engageant dans la transition énergétique, nous nous sommes tous jetés dans la gueule du dragon chinois qui a en effet le monopole d'une kyrielle de métaux rares indispensables aux énergies bas carbone et aux numérique, les deux piliers de la transition. Nous devenons de plus en plus dépendants à une seule nation, la Chine, apte de ce fait à nous imposer embargo, quota et prix. L'auteur montre comment la Chine, à partir de ce monopole, a peu à peu fait main basse sur les hautes technologies, celles qui utilisent ces métaux et surtout les terres rares. Dans les années 1990, nos usines de raffinage ont poussé comme des champignons en Chine. Nous avons ainsi fourni à la Chine l'écosystème lui permettant de reproduire le savoir-faire occidental, de mener leurs propres activités de Recherche et Développement et de progresser sur les activités à plus forte valeur ajoutée laminant notre industrie. L'auteur s'appuie sur l'exemple de Rhône Poulenc à la Rochelle.


Problématique géopolitique enfin.

Cette nouvelle ruée vers les métaux rares accentue les tensions pour l'appropriation des gisements les plus fertiles créant certaines tensions que l'auteur met en valeur. Au-delà de cette guerre, notons que la pollution n'est plus émise dans les agglomérations grâce aux voitures électriques mais est déplacée dans les zones minières où l'on extrait les ressources indispensables à la fabrication de ces voitures.


En conclusion notre nouveau modèle économique, basé sur la double transition écologique et numérique, est terriblement pernicieux. Les énergies dites propres nécessitent le recours à des minerais rares dont l'exploitation est tout sauf propre. Encore faut-il avoir en tête d'appréhender l'ensemble du cycle de fabrication des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, ou encore des voitures électriques. Par ailleurs cette nouvelle dépendance aux métaux rares a entrainé une dépendance aux pays exploitant ceux-ci et en premier lieu la Chine. Nous sommes passés d'une dépendance à une autre, d'un centre névralgique (les pays pétroliers) à un autre, avec toutes les nouvelles tensions géopolitiques que cela induit...

Ne jamais oublier de se poser la question : combien faut-il d'énergie pour produire de l'énergie...?

Un livre salutaire et très pédagogique, véritable pépite, fruit de six ans d'enquête. Cet auteur a également publié « L'enfer numérique » tout aussi édifiant.
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