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Critique de Alzie


Elle a été baptisée « déesse de la liberté » par les Japonais, lors de son exposition au Musée National de Tokyo en 1999. Sa dernière sortie française l'a conduite pour un an, en 2013, dans la Galerie du Temps au Louvre Lens où un léger outrage lui a même été infligé, heureusement vite réparé. On en avait presque oublié sa présence discrète sur les anciens billets de 100 francs frôlant la tête de son créateur, quand elle a resurgi brusquement sous nos yeux dans les jours qui ont suivi les attentats : une photo de l'AFP a suffi et plusieurs citations dans différents médias et voilà à nouveau la figure de la « Liberté guidant le peuple » sur le devant de la scène (peinte à l'automne 1830 par Eugène Delacroix), qui symbolise encore et toujours notre liberté chérie devenue Liberté charlie.

Pas inutile donc de relire cette monographie de la collection Solo (28), présentée par Arlette Sérullaz et Vincent Pomarède (2004), pour examiner d'un peu plus près l'histoire de cette oeuvre emblématique devenue icône de la République que son auteur appelait aussi La Liberté ou La Barricade. Eugène Delacroix (1798-1863) a trente deux ans lorsqu'il réalise ce tableau, peu de temps après les journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830, les trois glorieuses, qui mirent fin au règne de Charles X et installèrent Louis-Philippe d'Orléans au pouvoir pour dix-huit ans. Présenté au Salon de 1831 et assez mal accueilli par la critique, le tableau est acquis cependant par le roi mais n'intégrera les collections du Louvre qu'en 1874 après quelques vicissitudes. 1830, c'est le moment où Delacroix, prend ses distances avec le milieu romantique et "s'assagit".

Comment lire alors cette immense composition haute de 2,60 m et large de plus de trois mètres, peinte en un laps de temps très court, trois mois, et mettant en scène une page d'histoire dont le peintre a été témoin (de loin, si l'on en croit son ami Alexandre Dumas) ? Que représente cette allégorie faite femme ? Est-elle un manifeste soudain à la gloire des insurgés dans un moment d'exaltation révolutionnaire ou, plus prosaïquement, une intention de l'artiste de relancer opportunément sa carrière après le scandale de Sardanapale au Salon de 1828, en s'attirant les faveurs du nouveau régime ? Rien de tout cela, mais de tout cela un peu. Contradictions d'un artiste exceptionnel, grand admirateur de l'Empire, dont l'âme tourmentée a vibré quelques années plus tôt pour le combat d'indépendance des Grecs contre les Turcs, partagé entre ses ambitions et ses combats esthétiques... La Liberté aurait peut être à voir avec une oeuvre précédente : "La Grèce sur les ruines de Missolonghi" (1826) tant son inspiration, apprend-on ici, n'est pas strictement contemporaine des événements auxquels son iconographie semble l'attacher...

Mérite d'une étude qui rebat toutes les cartes et examine toutes les interprétations. Perçue comme une oeuvre engagée par nombre d'historiens de l'art tout au long du XIXe siècle la Liberté guidant le peuple a pu acquérir le statut d'icône qu'elle conserve encore aujourd'hui. Pour mieux cerner les motivations de l'artiste les deux auteurs reviennent sur le contexte artistique, politique et social de l'époque, s'appuient sur les archives de ses contemporains et de ses amis, ainsi que sur les travaux de recherches et les études menées sur le tableau et sur la manière de travailler de Delacroix – ceux d'Hélène Toussaint notamment – pour en restituer la genèse. Une approche élargie qui permet au lecteur de mieux appréhender une oeuvre pourtant très connue mais autour de laquelle subsistent toujours bien des malentendus. Une manière aussi de se la réapproprier.




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