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Critique de Nastasia-B


Alors oui, oui, je sais, je sais, c'est très vilain, vraiment très vilain de dire du mal des précurseurs, des inventeurs, des originaux ; c'est très vilain de dire du mal de celui qui est le père légitime du roman français (voire mondial) ; et c'est très laid enfin, en ces heures de bien pensance reine, de s'en aller tacler le chef de file des malséants, des trublions. Oui, je sais, je sais… Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa…

Sincèrement, croyez-moi, du fond du coeur, j'aimerais m'enthousiasmer pour quelqu'un qui déborde tellement d'humour (je n'ai rien, bien au contraire, contre l'humour gras d'un Hurtaut ou grivois d'un Bukowski), qui ne se prend pas au sérieux, qui fait montre d'une culture ahurissante, qui parodie à qui mieux mieux, qui règle leur compte à bon nombre de grands messieurs ou dames persuadés d'être des gens très bien, etc., etc.

Mais qu'est-ce que c'est chiant à lire pour moi ! Putain de putain que c'est chiant à lire ! Ça me tombe des mains, ça n'en finit pas (alors même que le livre, de taille modeste, est découpé en plein de petits chapitres). Outre le fait qu'il faille parfois quasiment une traduction pour le lire — là n'est pas encore le principal problème en ce qui me concerne — mais les listes interminables avec des liens quasi infaisables (à moins d'être experte) avec ce qu'il parodie, l'outrance vraiment outrancière, les digressions sans queue ni tête, et puis, de façon générale, la caducité fréquente du propos.

Ce que j'aime, ce que j'adore, dans mes lectures d'oeuvres anciennes, c'est de débusquer ce qui n'a pas vieilli, ce qui touche à l'universel. En revanche les querelles de clocher d'il y a 500, 700 ans, qu'est-ce que je m'en fous. C'est ce qui me rebute chez Dante et c'est ce que je reproche beaucoup à notre François Rabelais national.

Finalement, ce qu'il me reste à admirer, ce n'est pas tellement le propos, ni la forme, ni quoi que ce soit ayant réellement trait au fonctionnement romanesque, c'est plutôt l'apport de Rabelais pour la langue française. Là je me délecte : on ne compte plus, dans ses livres, le nombre d'expressions qui sont désormais passées dans le langage courant. C'est en ce sens qu'il est géant et patrimonial : notre français et ses expressions lui doivent énormément et lire ces vieilles orthographes nous aide parfois à comprendre et retracer l'étymologie de bien des mots qui s'est évaporée au cours des siècles.

D'emblée, Rabelais nous dit que nous évoluons dans la fiction, qu'il ne faut pas lire ni comprendre au pied de la lettre. Soit, pourquoi pas. Très vite, il va dans l'outrance, la démesure, la matière fécale, les parties génitales, l'humour, les voyages improbables, les références à la pelle. Mais à quoi bon ? Pour nous délivrer son message ? Quel message ? Il se classe parmi les humanistes, proche d'Érasme, et donc ami du savoir vrai, pas des dogmes, pas de l'église telle qu'elle se conçoit à l'orée de la réforme.

Soit, soit tout ça. Mais en quoi la forme sert-elle le fond ? Là, je m'interroge et j'ai furieusement tendance à penser qu'elle dessert au contraire le propos. le lecteur inattentif peut tout à fait prendre les convictions véritables de l'auteur pour autant de dérisions, engluées comme elles le sont dans cette gangue de gauloiseries. Comment mieux ridiculiser le savoir véritable dont Rabelais était le dépositaire que de le pervertir comme il le fait constamment. Comment ne pas voir en lui un genre de pédant (exemple du chapitre IX et de la présentation de Panurge), lui qui raille constamment la pédanterie ?

Bref, ne m'en veuillez pas si comme une idiote je crache sur une idole, d'ailleurs, ceci n'est qu'un bien misérable, bien insignifiant avis duquel Rabelais doit bien rigoler, lui qui n'a besoin de personne depuis cinq cents ans pour continuer d'être lu, critiqué et admiré un peu partout sur la Terre…
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