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Critique de Zebra


Zebra
04 décembre 2012
Un bon gros livre bien épais (681 pages) avec une couverture étonnante (une figurine aztèque ou quelque chose de ressemblant), de couleur rose bonbon (faut quand même oser!), flanqué d'un titre incompréhensible (EPDCS en abrégé), écrit par quelqu'un que je ne connaissais pas, ça ressemblait à un pari un peu fou, une sorte de pied de nez au bon sens commun. J'ai été servi …

L'histoire est à la base assez facile à saisir et d'une certaine actualité : Louis Dieutre, ancien détenu reconverti dans le mécénat artistique (il s'agit d'une « couverture ») appartient en fait à une association (au joli nom de « Source ») dont le but inavoué est de servir de plaque tournante et de recyclage de l'argent sale entre l'Afrique et l'Europe (les potentats locaux fournissent les partis politiques en menue monnaie sous condition que l'essentiel de l'argent alimente des comptes bancaires logés dans des paradis fiscaux, les intermédiaires se rémunérant au passage en prélevant de substantielles commissions de gestion). A la veille de passer l'an 2000, Louis absorbe sans le savoir un cocktail de psychotropes qui l'envoie tout droit dans un univers déformé et instable où les faits et les réactions des uns comme des autres deviennent incontrôlables, où les personnalités se déconstruisent et se recomposent à l'infini comme dans un gigantesque kaléidoscope. le voyage initiatique commence : vous voilà entraîné avec Louis dans un trip où l'ecstasy et les champignons hallucinogènes constituent autant de friandises communément absorbées (certains personnages trépassent suite à cette absorption), et vous rencontrez Johnny Hallyday, Carla Bruni, PPDA, Charlotte Gainsbourg, plusieurs célébrités du show-business, des sectes, des dingues qui se font soigner par un psychiatre déjanté et de faux militaires. Vous voici dans une autre dimension, accroché au monde réel et en même temps englué dans des mondes parallèles, à deux doigts de sombrer à tout jamais dans un monde dont on ne revient pas toujours. Confronté à une réalité déboussolante, changeante, multiple où les acteurs jouent des jeux dont les règles vous échappent, vous voici comme le héros, Louis Dieutre, en train d'osciller au fil des pages entre rêve et conscience, entre normalité et folie furieuse, entre apathie et frénésie (la tachycardie vous guette car l'hystérie n'est pas loin), entre le prévisible et la surprise pour ne pas dire le délire le plus extravagant, entre le sérieux de la vie réelle et la désinvolture et la variété qu'offrent les jeux vidéo, entre un quotidien d'une affligeante banalité et les créations extra-ordinaires de la FIAC ...

Le livre est très vivant, original dans son format comme dans son écriture (les phrases sont rarement terminées et pleines de sous-entendus), le style est assez curieux (mélange de sections en minuscules puis en majuscules), les références sont multiples, les citations foisonnent, les rebondissements et le côté décousu de la narration créent une insécurité manifeste, à la limite de la gène pour le lecteur, l'humour est très présent (une des personnes de l'équipe marketing doit traiter le thème : « Anus et compassion »), le sexe, la violence et la scatologie sont omniprésents. le suspense est garanti (je vous défie de prévoir la fin d'EPCDS), l'originalité est évidente (mais il y a un clin d'oeil en direction du livre de Michel Houellebecq : « Extension du domaine de la lutte »), les personnages sont très typés (Jean Nègre dit Batman, le patron de Louis Dieutre, Aïm le psychiatre qui « soignera » notre héros, Ronald le nain lubrique qui servira de « modèle » à notre héros, Sophie la secrétaire dévouée corps et âme envers son Ancien Gentil Nouveau Patron, etc.).

Quel était le but de Vincent Ravalec en écrivant un livre aussi fantasque, aussi long, aussi déréglé, sans fil directeur apparent, mettant en perspective des thématiques multiples, en un vrai fourre-tout noyé dans une logorrhée incroyable, à la limite de la provocation ?
Je me risquerai à avancer 3 hypothèses :
1 - l'auteur voulait écrire une farce, sans prétention littéraire mais délibérément provocatrice, et c'est ce qui explique ce trip à l'acide et cette diarrhée verbale ;
2 – l'auteur avait un projet littéraire, à savoir faire un pied de nez ou un clin d'oeil à Michel Houellebecq (il aurait cherché soit à le déstabiliser, soit à fabriquer un ouvrage que leur éditeur commun, Rapahël Sorin, pouvait aisément commercialiser) ;
3- l'auteur voulait écrire un roman à thème : le thème de l'argent sale sur le mode « la France-Afrique » ? le thème du millénarisme (le passage mystérieux d'un millénaire à l'autre) ? le thème des fausses stars, du mécénat, de la banalisation de la violence, des sectes ou que sais-je encore ? le thème de l'art contemporain (la FIAC en étant un exemple marquant) comme gigantesque entreprise de voyeurisme et d'escroquerie ? le thème des chiffres et de l'informatique gouvernant le monde ? Non ; ça pouvait être le thème de la réalité vécue comme une illusion perpétuelle, illusion cachant d'autres réalités, lesquelles ne nous seraient perceptibles que sous condition d'absorber des substances adéquates : un « pousse-au-crime » malsain ou une fenêtre ouverte sur la vraie vie, à portée de tous, donnant la possibilité à tout candidat au voyage d'entrer en communication avec le divin, avec la vraie nature et de surmonter ainsi sa peur panique de la mort en transgressant les interdits ? le mystère reste entier.

Dans tous les cas, un livre à conseiller aux lecteurs curieux et courageux !
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