AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de irisrivaldi


« Toutes les planètes que nous croisons sont mortes » est le premier roman de Vincent Raynaud. Le titre m'a d'emblée interpellée. J'apprécie en effet les titres brefs qui n'en disent pas assez ou, comme ici, les titres longs, souvent énigmatiques. Dans les deux cas, je suis donc poussée à approfondir. Le livre retrace le parcours de Tristan Lavarini, qui a accédé à la notoriété en devenant le leader de La Monstrueuse Parade. Un groupe néo-punk imaginaire, un brin déglingué – pour ne pas dire destroy, ce serait surfait – et qui pourrait pourtant s'inspirer de la réalité puisque de nombreuses références à des pointures de la scène musicale française et internationale émaillent un récit au rythme enlevé, qui ne manque ni de densité ni d'intensité.

L'histoire :

Le personnage principal de cette fiction fait partie des jeunes gens dont on a coutume de dire qu'ils sont nés une cuillère en argent dans la bouche. Fils cadet d'un couple de l'intelligentsia parisienne ; père d'origine italienne, éminent sinologue, et maman suédoise, chanteuse soprano lyrique.
De plus, aucune fée n'a oublié de se pencher sur son berceau, puisqu'en plus d'avoir grandi dans la ouate, le chérubin est aussi beau gosse et sportif accompli (il ne joue pas au foot on s'en doute mais excelle à l'escrime). Il a bien sûr bénéficié d'une éducation musicale éclairée, conservatoire à l'appui, et n'est pas dénué d'une bonne dose de suite dans les idées. Comme il faut bien que jeunesse se passe et se défoule, le garnement se comporte aussi comme un affreux jojo arrogant trop sûr de lui. Par quoi se distingue-t-il d'autres têtes à claques à la chance indécente, qui provoquent davantage de crispations que des sursauts d'empathie ? Eh bien, à l'âge de 13 ans (nous sommes en 1977), après avoir assisté à son premier concert rock, Tristan se sent promis à un destin. Mais lequel ? Papa-maman vont faire le deuil d'une brillante carrière de pianiste soliste pour leur rejeton, qui préfère le son des percussions et décide de faire de la batterie.
Le temps s'égrène et cette phrase un rien nébuleuse « Toutes les planètes que nous croisons sont mortes » révèle peu à peu sa signification. En 1981, en France comme dans le reste du monde une décennie débute ; pour la première fois, chez nous, la Cinquième République voit un président socialiste accéder au pouvoir. On comprend qu'une ère nouvelle s'ouvre. Trop jeune pour être punk, pas assez vieux pour voter, Tristan devra patienter et attendra pour voir se concrétiser ses ambitions musicales. En même temps, on comprend aussi que le meilleur est passé. L'enfance de Tristan est un paradis perdu, la réalité le rattrape et le temps continue sa course inexorable.

Après la disparition tragique de ses parents et de son frère, Tristan est recueilli par son oncle et sa tante. Concrètement il se trouve livré à lui-même et à sa seule intuition. Qui le guidera dans ses choix de vie ?
Tristan n'envisage pas de poursuivre ses études mais compte apprendre chemin faisant. Le jeunot avance à l'instinct, gamberge et fantasme, armé de sa naïveté et de l'insouciance des matins de printemps. Ivre de gloire, il se sent l'âme d'un conquistador à l'assaut de l'eldorado et se rêve adulé par les foules en délire. Les tournées triomphales succèdent alors aux expériences peu reluisantes mais Tristan reste rongé par sa part d'ombre. Quand La Monstrueuse Parade connaît ses premiers succès, le petit génie de la scène et de la composition aspire à devenir l'apôtre d'un genre nouveau. Taillé pour réinventer le son, il entend bien pousser le raffinement jusqu'à explorer des espaces immaculés. Mais sortir des sentiers battus n'est pas une mince affaire quand les contraintes du marché obligent l'industrie du disque à complaire aux goûts formatés du grand public. Même au firmament Tristan se cherche toujours. Finira-t-il par se trouver ?

Mon avis :

Le livre démarre sur les caprices d'un enfant, gâté par la naissance et la nature, qui un beau jour décide de jouer au bad boy en risquant peu, compte tenu des cartes favorables distribuées par le destin. Cette entrée en matière aurait pu horripiler sans la finesse de l'histoire. Et celle-ci m'a littéralement transportée. Le style d'écriture en premier lieu est époustouflant. D'ordinaire, les phrases qui s'auto-alimentent façon Proust, n'ont pas ma faveur ; moi, qui chéris tant la sobriété et la simplicité. Si, en l'occurrence, Vincent Raynaud a opté pour une écriture « kilométrique », il ne l'a fait ni par hasard ni par lubie et encore moins par facilité. Ce choix se justifie tout bonnement parce que sans cet exercice de style exigeant, il n'y aurait pas eu de livre. Et ce choix, peut-être risqué, surtout pour un premier roman, est finalement judicieux car une fois sa lecture achevée, on se sent comme étourdi devant une peinture qui nous intrigue tout en nous ravissant ou lorsqu'une musique lancinante résonne à nos oreilles pour nous captiver. On se dit : « il ne manque rien, il n'y a rien de trop. L'artiste a fait mouche. » D'autant que, en plus de sonner juste, les mots se passent très bien de fioritures lexicales. Le texte est en effet fluide, parfaitement harmonieux, d'une grande pureté et d'une rare limpidité. L'érudition musicale n'alourdit en rien le propos, à l'inverse, elle sert à merveille la trame pour créer une proximité avec le lecteur et l'auditeur. L'évocation des groupes, musiciens et chanteurs qui ont réellement marqué leur époque trouvera un écho chez beaucoup d'entre nous en faisant resurgir des souvenirs bien enfouis ou alors encore vivaces.
Ensuite l'atmosphère – on s'y croirait – est sidérante. Au fil d'une odyssée musicale hors-norme, sont retracées quatre décennies d'errances artistiques, de questionnements, de déambulations existentielles avec leur cortège de drames autour de variations sur l'incontournable cocktail « sex, drugs and rock'n'roll ». En filigrane se déroule aussi l'histoire d'un pays – et du reste du monde – ainsi que l'exploration de méandres plus intimes, qui peuvent parler à tous, qu'on ait ou non fait ses premiers pas dans un environnement aussi doré et préservé : les dilemmes, les choix décisifs qui conditionnent toute une vie, les cicatrices toujours douloureuses, les amitiés qui s'effilochent. Si un concert peut laisser des traces, ce livre ne s'oublie pas facilement. Tristan m'a marquée et a fini par devenir attachant au point d'avoir du mal à le quitter.
Lien : http://scambiculturali.over-..
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}