Vitus Béring ne représentait pour moi qu'un nom sur une carte. Avec Errances, Olivier Rémaud rend à cet explorateur danois au service de l'Empire russe un hommage éclairé véritable sépulture de papier pour celui qui a participé aux plus grandes expéditions maritimes du XVIIIe siècle.
Pour l'Histoire, il est celui qui, en érigeant des cartes nouvelles, a permis «de mesurer la taille réelle du continent» et «de cesser de spéculer sur les confins» de l'Empire russe à une époque où des scientifiques suggéraient que l'Asie et l'Amérique étaient reliées.
Pour rendre l'histoire un peu plus épidermique, Olivier Rémaud met en lumière un explorateur au profil atypique, débarrassé de ses mythes : un désir de voyage qui n'était pas un désir de conquête de nouveaux territoires, une volonté de reconnaissance sociale qui n'était pas une soif immodérée de richesse.
A travers les deux expéditions qu'il a menées, on découvre un homme de bon sens lorsque l'instinct de marin n'était pas évident, qualité indispensable pour sentir à terre les hommes qui vont le soutenir et ceux qui vont saper son autorité. Vitus Béring a essuyé des tempêtes et des bourrasques qui n'ont pas permis d'atteindre les résultats escomptés par certains lors de sa première expédition, mais elles n'ont pas été les seuls dangers qui ont perturbé ses voyages. La défiance des «savants de salon» au sein de l'Académie des sciences, l'absence de coopération des autorités locales russes dans les territoires extrême-orientaux de Sibérie, le manque de ravitaillement. Tout ceci a certainement alimenté le désespoir qui a poursuivi le capitaine commandant comme il frappe ceux dont les exploits ne sont pas reconnus à leur juste valeur par leurs contemporains...
Lorsqu'on pose ce bouquin, on peut facilement imaginer un homme écrasé par l'ampleur de la mission, le costume de pionnier trop grand pour ses épaules, mais ce ne serait que pure spéculation. L'auteur nous épargne les ressorts romanesques d'abord parce que Béring ne fut pas le premier à avoir visité les frontières septentrionales de la Sibérie, ni à avoir posé le pied en Alaska. Et reprenant les canons de la biographie classique, Olivier Rémaud ne cherche pas à expliquer les replis secrets de la psyché de cet homme, il ne s'efforce pas de rendre romanesque la vie de Béring en donnant artificiellement une cohérence frappante, un lien fort dans l'enchaînement des chapitres. Alors oui, l'écriture didactique et parfois fuyante ne possède pas la puissance de fixer de la même manière que dans les biographies romancées. J'ai eu parfois l'impression de chercher une perspective à travers le hublot du navire.
Mais j'ai aimé ce livre qui charrie une réalité lointaine, des contrées démesurément grandes et inhospitalières où le froid peut rendre fou, des choses disparues ou qui nous échappent comme celle d'empire qui privilégie la notion de circulation et ses convois terrestres spectaculaires destinés à préparer les explorations_ des défis immenses qui pouvaient ruiner un empire (surtout lorsqu'un empire comme celui-là gouverne négligemment la Sibérie orientale).
C'est le genre de bouquin qui nous invite à oublier le temps de sa lecture «notre planète totalement explorée, cartographiée, conquise et donc misérablement rétrécie comme un gant de laine lavée à l'eau bouillante» comme disait déjà Apollinaire.
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