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Critique de JustAWord


En1979 s'éteignait Christine Renard.
De cette autrice française, il ne reste aujourd'hui plus grand chose et cela malgré quelques tentatives de rééditions confidentielles par les éditions Gandahar en 2019.
Tombée dans l'oubli, Christine Renard fut pourtant une voix majeure de l'imaginaire français. À la fois écrivaine et traductrice, on lui doit une dizaine de romans et plus de soixante nouvelles.
Parmi cette bibliographie imposante, c'est un roman en particulier qui attire l'attention des éditions L'Apprentie : La Planète des Poupées.
Un ouvrage de science-fiction initialement publié en 1972 qui nous emmène sur une lointaine planète du nom de Margaretta.
Un nom surprenant qui n'est que la première d'une longue liste de surprises qui attendent le lecteur…


Christine Renard commence son récit comme une aventure spatiale.
Un vaisseau a franchi le gouffre spatial qui sépare la Terre de Margaretta, quelque part autour d'Alpha du Centaure. Un voyage de 500 ans pour découvrir ce qu'il est advenu de cette colonie humaine et lui apporter les dernières nouvelles et technologies du berceau de l'humanité.
Pour nous guider sur cette planète, une jeune psychologue qui ne s'attend pas du tout à ce qu'elle va découvrir. Dès son arrivée et ses premières visites dans les rues de Méditerrannée, la ville-capitale de Margaretta, elle remarque d'étranges statues devant certaines maisons. Des statues ravissantes qui représentent des jeunes filles d'une quinzaine d'années envrion et qui s'avèrent en fait de parfaites répliques des prétendantes au mariage. Autour de ces statues, une chaîne et un cadenas.
Invitée par des Margarettiennes, notre psychologue découvre une société quasi-médiévale où tout se base sur l'artisanat et le troc et où la femme règne sur la maisonnée à défaut de pouvoir faire d'autres choses.
C'est d'ailleurs l'habilité au tricot de notre narratrice qui intéresse en premier lieu les habitantes de Méditerranée et pas ses autres talents.
Pour une femme de Margaretta, tout ce qui compte, c'est le mariage.
Et c'est ici, précisément, qu'intervienne les fameuses statues qui pullulent sur la planète. Lorsqu'un homme désire une femme, il vient en demander la clé à son père et emporte la statue avec lui.
Dès lors, il est dans l'obligation de marier celle dont il a enlevé la statue.
Mais… à quoi servent ces étranges poupées grandeur nature ?
Valentin Vallauris, le sociologue de l'expédition Terrienne, se met en tête de découvrir le secret de cette tradition en courtisant la jeune Vanille puis en emmenant sa statue malgré les avertissements de la psychologue.
Quelques jours plus tard, il est retrouvé mort au pied du monastère qui surplombe Méditerranée et où se rendent les Margarettiennes afin de se faire modeler leurs statues. Qui a assassiné Valentin et qu'a-t-il découvert de si terrible sur les poupées/statues de Margaretta ?
C'est avec ce point de départ qui ressemble à un mélange de science-fiction et de récit policier que Christine Renard ferre son lecteur. Ne perdant pas de temps, l'autrice nous plonge dans une société qui pourrait tout droit sortir du Moyen-Âge et qui, pourtant, ne connaît ni le meurtre, ni le viol, ni la folie. Mais quel est donc le secret de Margaretta ?


Petit à petit, le lecteur va comprendre le fonctionnement étrange (et malaisant) de cette société basée sur ce qui ressemble à une utopie sexuelle pour les femmes comme pour les hommes. du moins, si l'on n'y regarde pas de trop près. Car les présupposés qui fondent cette société repose sur des clichés misogynes qui veulent que la femme n'aime pas le sexe et que l'homme, au contraire, ne peut pas s'en passer et qu'il lui faut assouvir ses pulsions. À ce stade, on commence à se douter du rôle joué par les statues mais on n'en mesure pas encore l'ampleur ni la perversité.
Lentement, insidieusement, les femmes de Margaretta se révèlent pour ce qu'elles sont vraiment : des femmes-objets et des femmes-trophées, dévolue à élever les enfants et à tenir la maisonnée, séparant la mère de l'amante. Christine Renard va peu à peu faire dévier son récit vers une véritable révolution, conséquence prévisible de l'arrivée des Terriens sur Margaretta. Sauf que cette révolution n'est pas une chose consciente, Christine Renard nous montre que c'est simplement la présence d'une personne aux moeurs différents et qui refuse d'endosser les traditions locales, qui va entraîner une série de conséquences inattendues. Il n'est jamais question pour son héroïne de militer ouvertement ou de brûler tout l'édifice de la culture Margarettienne. En réalité, l'évolution sociale doit venir de l'intérieur pour Christine Renard, on ne peut l'imposer sous peine d'acculturation. Et c'est diablement intelligent et subtil.
Outre son féminisme assumé et les mentions répétées (mais furtives) à la bisexualité de son héroïne, l'autrice française s'amuse à tordre nos perceptions et va jusqu'à s'interroger sur le lendemain des révoltes.
Qui tiendra la maison une fois que l'ensemble sera écroulé ?
Le rôle de la religion, alliée forcément aux conservateurs de la planète, est assez fascinant à ce titre, l'autrice les qualifiant ouvertement de fous et de dérangés jusqu'à ce que son héroïne finisse par y trouver un certain confort, une certaine stabilité. C'est le danger du temps qui passe : voir les révolutionnaires affronter des extrémistes qui remettent en cause ce qu'ils ont acquis. Dès lors, que devient-on ? L'ultime chapitre de La Planète des Poupées est un modèle de nuance et de questionnement à l'endroit de la révolution. Mais ce qui impressionne définitivement, c'est la violente charge féministe menée avec une intelligence redoutable par Christine Renard montrant à quel point la sexualité est un pivot central du rapport homme-femme et à quel point une idéologie peut enchaîner même ses victimes pour en faire des zélatrices convaincues.
Au fond, La Planète des Poupées parle du poids des traditions, de la puissance du Patriarcat et de féminisme révolutionnaire avec une modernité stupéfiante.

Véritable chef d'oeuvre oublié de la science-fiction française, La Planète des Poupées est un récit intelligent, précurseur et fascinant jusqu'au bout. Christine Renard explore en profondeur les contradictions et les injustices d'une dystopie qui pourrait bien être la nôtre.
À redécouvrir de toute urgence !





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