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Critique de Franz


1812, campagne de Russie : foirade, casse-pipe et chamboule-tout.
Fouché eut beau, en avril 1812, écrire à Napoléon en lettres de feu le désastre qui allait s'ensuivre, l'empereur des Français n'en fit rien car il se voyait déjà le père des peuples de l'Europe et son grand destin en devenir passait par la Russie. La folie des grandeurs ne fait pas bon ménage avec les immensités russes, la politique de la terre brûlée et le général Hiver. 160 000 chevaux traversèrent le Niémen en juin 1812, quelques milliers seulement franchirent la Bérézina fin novembre 1812. L'hécatombe des chevaux en dit long sur la tragédie franco-russe.
L'historienne Marie-Pierre Rey, professeure d'histoire russe à la Sorbonne, ravive les plaies d'une tragédie courue d'avance alors même que les oracles, sous la plume de Fouché et consorts, avaient prédit, en langage diplomatique, l'issue fatale d'une telle entreprise. le despote qui voulait surpasser sa condition de simple mortel, sauvant de justesse sa carcasse allait entraîner dans son délire de conquête des centaines de milliers de morts. L'essai historique possède de nombreux atouts. D'abord il traite du conflit des deux côtés, français et russe. Napoléon fait assez pâle figure face au tsar Alexandre Ier, âgé de 35 ans, francophile sensible aux Lumières et doté d'une grande humanité. L'historienne utilise les sources notoires auxquelles s'ajoutent les carnets de soldats ou de témoins. L'aspect humain n'est donc pas relégué au profit d'une vision politique, stratégique et militaire désincarnée. Barclay de Tolly, commandant en chef de l'armée tsariste, préconise l'esquive et la destruction systématique des ressources qui pourraient alimenter la Grande Armée. Les villes de Vilnius, Vitebsk et Smolensk tombent ainsi sans coup férir aux mains des Français qui ne trouvent rien à engranger. L'opinion publique et l'état-major russes voient d'un mauvais oeil la perte de Smolensk et Tolly est remplacé par le vieux général Koutouzov qui va enfin offrir aux Français et à ses alliés, aux portes de Moscou, à Borodino, sur la Moskova, une grande bataille frontale que Napoléon va négliger, refusant d'engager dans le conflit la Garde impériale et permettant ainsi à l'armée russe de se retirer en bon ordre. Napoléon prend possession du Kremlin à Moscou, la grande ville tsariste ayant été vidée de ses habitants et de ses vivres puis soumise à un incendie programmé. Napoléon, dans sa coquille vide et calcinée ne peut qu'entreprendre le chemin du retour mais la route est longue, le froid intense, les vivres inexistantes et le harcèlement des Cosaques des moujiks et de l'hiver constant. C'est la Bérézina en marche et la panacée de l'horreur.
D'un style alerte, s'appuyant sur une documentation solide et inédite, l'essai se lit comme un roman. le prologue plaçant d'entrée de jeu le lecteur atterré dans Moscou, celui-ci peut songer à un tableau métaphysique et surréaliste de Giorgio de Chirico. Il peut aussi se dire que Napoléon étant dans Moscou, la victoire est acquise. Telle est la force de l'uchronie mais immédiatement, les chapitres s'égrènent et reprennent l'histoire dans sa chronologie implacable avec les fausses démarches diplomatiques et les idéologies sous-jacentes, la mise en route des forces militaires, l'invasion puis la guerre d'esquive et d'escarmouche. S'ensuivent Smolensk, Borodina et Moscou. Les chapitres 10 et 11 sont consacrés au général Hiver et à la débâcle de l'armée napoléonienne. L'épilogue donne le coup de grâce à l'empereur des Français. 43 pages de notes, 14 pages de bibliographie, un index des noms des personnages, quatre cartes, malheureusement sommaires, confirment le sérieux du travail de l'historienne. Même si le lecteur a peu de connaissances et d'accointances avec cette sombre période de l'histoire franco-russe, il ne peut qu'être emporté par cet essai limpide et documenté, vivant et troublant. Pour peu qu'il se soit déjà documenté sur l'« Opération Barbarossa » et l'échec de la Wehrmacht aux portes de Moscou, les officiers allemands craignant que la mésaventure napoléonienne ne se reproduise, le lecteur ne peut que se passionner pour cette campagne de Russie princeps, promulguant la Bérézina au rang de funeste déroute alors même qu'il s'agit d'une victoire française face à l'armée de Koutouzov, les pontonniers néerlandais réussissant à construire deux passages sur le fougueux affluent du Dniepr. L'histoire n'est pas toujours telle qu'on se l'imagine et ce précis de la campagne de Russie passionnant remet les pendules à l'heure.
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