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Critique de Escapist


Comment réussir à critiquer et définir un roman aussi envoûtant et mélodieux ? Inscrit comme le sixième volume de la saga « Chroniques des Vampires » – signée par la talentueuse Anne Rice – « Armand le Vampire » est sans conteste l'un des meilleurs de la série. D'une richesse inouïe, d'une beauté littéraire fantastique et d'une profondeur inattendue, ce livre est à coup sûr un roman que l'on devrait hisser comme classique, ou tout au moins ajouter à ses lectures incontournables. A l'aide d'une plume agile et fébrile, Anne Rice transporte son lecteur dans les sphères insoupçonnées de la magnificence, frôlant l'ésotérisme et effleurant l'érotisme. Un savant mélange, complexe en apparence, et qui pourtant parvient à nous charmer et à nous bouleverser.

Après avoir laissé la parole à Lestat et à ses pairs vampires, c'est au tour du mystérieux Armand de conter une histoire bouleversante de réalisme, le conte de toute une vie qui traversa les âges et les siècles. A l'instar des autres ouvrages de la série, celui-ci offre le récit d'une vie de l'un des personnages les plus charismatiques de l'univers des Chroniques. Mais contrairement aux autres, Lestat n'apparait pas réellement et l'histoire marque une halte dans son déroulement tandis que cet ouvrage offre un flash-back sur la vie ô combien passionnée et mouvementée du sieur Armand. Dans un genre éclatant, le style est travaillé et d'une poésie enchanteresse. On se laisse dériver sur les flots incessants et mélodieux narrés avec soin par Armand. Ainsi, et accompagnée d'une constante sensualité tout au long de l'ouvrage, l'on s'embarque dans un voyage à travers le temps, partant sur les traces délicates d'une vie somptueuse mais néanmoins cruelle. Et c'est avec un agréable plaisir que cette narration débute en un lieu qui a lui seul reflète toute la volupté de cet ouvrage : Venise, qui se pare alors des charmes magnifiques que lui offrit la Renaissance. Dans une Italie alors à l'apogée de sa production artistique et intellectuelle, fleuron De La Renaissance, Armand dérive de beautés en beautés, parant chaque détail sur lesquels ses yeux se posent de milles charmes. On se délecte ainsi de la savoureuse poésie qui égrène les phrases, à la tournure sophistiquée, et qui vient rendre grâce à la splendide Venise. On longe ses canaux et l'on flâne à travers ses rues enfiévrées avec une aisance incroyable. Chaque quartier n'a plus de secret pour Armand et son lecteur, et c'est avec un réel bonheur que l'on pénètre ces fabuleux hôtels particuliers où l'on profite de la beauté fantasque des ameublements. Anne Rice, par un fabuleux travail de recherches, a su rendre vie à la Venise du XVe siècle, lui instillant un souffle nouveau – plein de fougue et de folie – et lui rendant l'éclat splendide du temps de son apogée. Grâce à ce saut dans le passé, on prend rapidement goût à l'opulence omniprésente des toilettes diverses, des parures somptueuses et des mobiliers cossus. Des tissus satinés, des fines dentelles ornant les lourds velours brodés, des rubis et émeraudes égayant les doigts délicats de notre vampire bien-aimé, des perles admirables ornant les cous gracieux, tout est décrit avec une aisance magistrale. La fluidité des descriptions et les précisions tendent à renforcer l'impression de réalité. Les sens sont émoustillés par le jeu de métaphores et d'allégories variées et emporte le lecteur dans des envolées d'images toujours recherchées et raffinées. le bon goût est maître-mot à ce livre et l'on se plait à imaginer les scènes fabulistes décrites. A l'image d'un chef d'oeuvre pictural, ce roman est travaillé et dépeint avec faste, brossant des images magnifiques et rendant hommage à l'art dans son sens le plus large. Véritable hymne à la peinture, ce roman est aussi mélodieux que troublant. Car si les sociétés décrites sont celles de l'opulence, côtoyant toujours néanmoins les sphères les plus appauvries et exécrables pour certaines, un vent orientalisant souffle avec vigueur tout au long de l'ouvrage : toujours grâce à des descriptions soignées, les épices parfument l'ambiance d'exotisme tandis que les soieries les plus fines épousent et dévoilent les corps les plus parfaits. A l'image d'un harem, la volupté des scènes profite de l'ambiance entêtante pour perdre son lecteur dans un tourbillon de sensations. Car les sens sont définitivement mis en éveil : ouïe, odorat, toucher et goût sont sollicités tout au long de l'ouvrage, invitant ainsi le lecteur à se délecter de perceptions intangibles et pourtant bien présentes.

En réalité, la sensualité émanant de ce livre tient en grande partie à la présence vampirique omniprésente. Que ce soit le divin Marius ou l'envoûtant Armand, chacun est doté d'une nature majestueuse et d'une sensibilité savoureuse. Et lorsque les deux personnages interagissent, on assiste à une véritable explosion d'émotions. de fait, les vampires ne sont pas traités comme des monstres et Anne Rice profite de leur nature exacerbée pour les rendre encore plus poétiques et sensuels que de simples humains. L'auteur mêle habilement leur nature démoniaque et assoiffée de sang à celle, bien plus délicate, de leur émotivité. de fait, on pardonnera aisément à ces élégantes créatures leur avidité sanguinaire, d'autant plus qu'Anne Rice ne s'attarde pas tant sur celle-ci que sur les troubles intérieurs qui agitent constamment Armand. Né dans un siècle de passion, adepte d'instruction et à la recherche constante de savoirs, Armand est un homme mûr dans un corps encore adolescent, et pourtant parfait, doté d'une sensibilité parfois trop extrême, l'amenant à divaguer sur des sujets intangibles. A la recherche constante de la véracité et vénérant l'image du Christ, il est un de ces hommes remettant sans cesse le monde en question. Durant ces longs discours ésotériques, qui sont parfois trop éthérés pour le simple lecteur, ce sont de véritables doctrines qui prennent naissance : Dieu et le Christ prennent pratiquement consistance dans ce roman tant la recherche d'Armand sur leurs traces est poussée. On frise souvent l'indescriptible, l'évanescent et les atermoiements d'Armand prennent des tournures de philosophies complexes. La narration interne permet de réellement ressentir toutes les émotions d'Armand et de mieux comprendre la substance de ses sentiments… mais parfois on ne comprend pas la raison de son émoi et l'on s'égare dans un flot de paroles ininterrompues. Mais au final, tous les personnages possèdent une humanité impressionnante et sont dotés d'un caractère qui force le réalisme. Malgré des passages parfois longs, on retiendra surtout le sens esthétique des vampires qui agissent en tant que véritables mécènes, témoins d'ères révolues dont ils sont ressortis grandis.

Ce roman s'apprécie également pour sa véracité historique. En définitive, cette histoire romancée s'inscrit dans l'Histoire, brodant des fantaisies sur une trame belle et bien réelle. Que ce soit Venise, Constantinople ou encore les steppes russes, on s'enfonce avec bonheur dans une narration qui pousse notre esprit à s'échapper dans le glorieux XVe siècle et survoler de vastes paysages rutilants, rivalisant de magnificence. Chaque scène est parfaitement détaillée et le décor particulièrement bien posé de sorte que l'on ressent les effluves exotiques de chaque contrée, savourant l'effervescence de Constantinople, la tiédeur enivrante de Venise, la beauté cristallisée de la Russie et le charme classique parisien. le tout sur un fond de vampirisme qui, bien loin de dénaturer l'ensemble, s'harmonise magnifiquement avec les décors et l'histoire.

Mais si les deux premières parties sont particulièrement saisissantes de réalisme et constituent de pures odes à la poésie, la troisième partie en revanche, perd de sa vitalité et s'essouffle. On retrouve alors Armand au coeur du XXe siècle, s'amourachant de deux humains aux caractères bien trempés et qui pourtant, malgré tous les éloges dont les pare Armand, peinent à nous être sympathiques. Définitivement, Sybelle et Benji manquent d'élégance face aux charismatiques Marius, Armand et à la divine Bianca. Peut-être est-ce dû à la distance creusée et surtout à un manque de détails. Car contrairement aux deux premières parties consacrées à l'âge renaissant, cette dernière partie est bien plus courte, et de fait bien moins travaillée que ses précédentes. Quant à la fin de celle-ci, elle est très ambiguë : Armand parvient à accéder à un savoir, à l'aboutissement d'une quête qui avait guidée toute sa vie. Sa rencontre mystique, aux lueurs oniriques, avec le Christ est particulièrement difficile à saisir. A trop fait agir ses personnages dans l'intangible, Anne Rice en perd parfois son lecteur, lequel, désarçonné, se voit contraint de poursuivre sa lecture sans toujours tout comprendre des situations.

Au final, ce roman est une émulsion des sens, glorifiant toujours plus les vampires en les parant d'une âme poétique. Si cet opus constitue une pause dans la saga des Chroniques, ne s'attardant que très peu sur Lestat, il offre en revanche une très belle vision De La Renaissance et célèbre les merveilles de son temps. En tant que lecteur chevronné, on appréciera également de s'attarder enfin sur l'histoire du séducteur et insaisissable Armand, véritable mystère de l'univers. « Armand le Vampire » est l'un de ces joyaux littéraires dont la lecture se révèle être une expérience envoûtante de délices et de sensations. Ce roman est tel un verre de vin rouge sirupeux, où l'on apprécie chaque gorgée tout en savourant l'onctueux mélange épicé de sa robe, prolongeant le plaisir tout au long de la dégustation, laissant l'épais liquide s'écouler langoureusement en nous avant de se délecter de la saveur dont il parfume nos lèvres, appréciant encore plus le souvenir qu'il laisse sur son passage.
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