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Critique de Enroute


Pour ce troisième tome, Ricoeur passe la seconde. Opposant Aristote à Saint-Augustin (encore), puis Husserl à Kant, et Heidegger à lui-même, il conclut à l'impossibilité de décrire le temps d'une manière autre que sous la forme d'un entrecroisement entre le temps absolu ou cosmique, et le temps intime ou phénoménologique. Cette conclusion est un socle qui lui permet ensuite d'entrecroiser à son tour la théorie du récit historique et celui du récit de fiction pour démontrer que seul l'entrecroisement des formes de récit permet de représenter le temps. Cette partie présente donc Mimèsis III, la refiguration du récit.

Mais tandis que le récit historique a pour fonction de transcrire le temps humain sur le temps cosmique par l'intermédiaire de connecteurs dont le calendrier est le plus emblématique (qui est cosmique puisque basé sur les mouvements de la lune et du soleil et humain puisque découpé selon son rythme, ses rites et ayant pour point d'origine un moment qu'il a choisi), à l'inverse, le récit de fiction vise à rendre le temps unique sensible sous une forme phénoménologique.
Le récit historique est ainsi refiguré sous la forme du temps cosmique dont les traces, issus des documents des archives, sont les éléments saillants qui permettent à l'historien de développer sa narration. Ceux-ci ont le choix entre une refiguration sous la forme du Même (il faut repenser les événements et devenir ceux qui les ont produits), de l'Autre (il faut mettre en évidence ce qui nous sépare du monde décrit) et de l'Analogue (il faut faire comme si nous y étions). le travail de l'historien est un travail de fidélité et de dette à l'égard du passé.

De son côté, le récit de fiction déréalise l'histoire narrée dans un espace temporel reconstitué. le récit de fiction est refiguré par l'acte de lecture, qui achève l'oeuvre littéraire. Celle-ci se révèle en trois étapes. D'abord le combat du lecteur pour percevoir le sens et la cohérence de l'oeuvre, puis sa déception ou son agacement que l'oeuvre (littéraire donc de qualité...) diverge de ses attentes, et sa tentative de reconstituer par une participation active et une sollicitation de ses connaissances à reconstituer la cohérence du nouvel esthétisme inachevé du texte. Si cela marche, une illusion se produit et le lecteur est entraîné dans le monde du texte, sinon, il en reste à la porte. de même, il est possible de relire une oeuvre du passé en mesurant la part d'innovation et de transgression qu'elle comporte, par rapport à la part supposée ou réimaginée d'attendus de l'environnement dans lequel elle apparaît. le travail de l'auteur est la fidélité qu'il doit à la reconstitution de sa vision du monde, ce qui contraint ses possibilités d'écriture que l'on aurait pu considérer, puisqu'il s'agit d'histoires inventées, infinies. le mythe d'une réalité de l'histoire est donc aussi grand que celui de l'irréalité de la fiction, les deux tendant à dire "le vrai".

Ce qui rapproche les deux formes de récit est la part d'imagination : celle de l'historien à "rendre" l'histoire, celle du lecteur à ouvrir les possibilités de l'oeuvre. Egalement les emprunts d'un récit à l'autre : la fictionnalisation de l'histoire (il s'agit de faire illusion pour "rendre" l'histoire) et l'historicisation de la fiction (le lecteur et le narrateur ont passé un pacte équivalent à celui du lecteur et de l'auteur de récits historiques). Ensemble, ces deux formes de récits, et ensemble seulement, parviennent à rendre le temps humain.

Ricoeur achève son ouvrage par une réflexion sur l'herméneutique historique qui suppose de renoncer à considérer l'histoire comme une globalité temporelle à la mode "philosophie de l'histoire" de Hegel et d'envisager plutôt, avec les risques que cela comporte, une herméneutique de la conscience historique, comme capacité à réinventer le passé et à envisager l'avenir dans le présent historique, ceci comme une différence éternellement réévaluée entre l'espace d'expériences (du passé) et l'horizon d'attentes (de l'avenir). Notre époque se caractérisant par des horizons un peu trop grands (utopiques) et des espaces un peu réduits (non réévaluation du passé).

Ce qui est captivant dans la troisième partie de cet essai, c'est l'exposition des principes de fonctionnement de la production du récit historique et de celle du récit de fiction et la subtilité des arguments de Ricoeur à démontrer leur symétrie qui mène, certes, à des intentions différentes, mais selon des axes de production (restitution du temps, imagination, prétention à dire le monde) identiques.
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