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Critique de Charmichael


L'histoire pourrait former le scénario d'un bon polar urbain des années 70 ou 80. à la finale la bande dessinée est plutôt très cinématographique, tant dans son esprit que son traitement. Son arrière-plan cinéphile forme un cadre référentiel et esthétique original.
Dans son esprit : les passages dans des résidences pavillonnaires en périphérie de Paris, avec garage, mur d'enceinte, évoquent des polars inter-urbains à la Melville, le cambriolage du début pourrait faire penser au Cercle rouge, ou pourquoi pas, La Bonne Année de Lelouch. Dans une veine plus de cinéma fantastique, on pourrait penser à l'homme invisible, au passe-muraille... Enfin, il y a cette pincée de Lynch caractéristique de Blutch au moins depuis Vitesse Moderne (et c'est évidemment réducteur : la BD fait du "Blutch" avant de faire du Lynch). J'entends par là : l'angoisse qui affleure dans des images fortes et à la fois contenues... le sentiment que ça "pourrait être pire", mais que l'auteur fait le "cut" juste avant ce "pire", pour rester dans le cadre d'une BD tout public. Aussi, une manière de ne pas expliquer les tenants de certaines situations, mais plutôt de nous les faire avaler comme des parenthèses d'irrationalité, une sidération - pourtant calibrée - devant l'étrangeté, ouvrant d'autres niveaux d'appréciation du récit. Une sorte d'aperçu en pointillés de ce qui l'habite souterrainement. Il en résulte une fascination qui me la fait relire, intrigué et en recherche de quelque chose, sentant comme un mystère sous l'écorce de ses images.
En terme de traitement : un séquençage en montage parallèle; à l'action principale se mêle les actions d'autres protagonistes dans une répartition par ligne ou partie de page, avec des ambiances lumière spécifiques et mutuellement contrastée.
En première lecture je me suis senti un peu perdu pour ce qui est des rôles de certains personnages, leurs motivations, mais peu importe, le plaisir est d'abord ailleurs, à la manière d'un film consciemment confus comme par exemple le grand sommeil de Hawks. On déguste les scènes, les saillies des personnages, on apprécie les idées graphiques - qui seraient chez un réalisateur des idées de mise en scène?
J'ai justement le sentiment d'une BD "mise en scène": Blutch adapte une histoire de son frère sans en changer un mot. Il interprète visuellement la composition d'un autre.
La coloration est d'une relative épure, parfois très stylisée, dans des saturations de bleu ou de rose assumées. Niveau dessins, j'apprécie les traits des visages pour leurs plis et contours, aux noirs profonds, et les "yeux", très expressifs même quand réduits à deux points.
Une fiction qui se présente aussi comme telle, "fiction", récit original et captivant, en forme d'hommage respectueux aux héros de nos jeunes années, ceux de nos longs après-midis fourrés aux rayons BDs des bibliothèques.
J'apprécie les bons mots un peu forcés que Robber met dans la bouche des protagonistes : encore une fois on pense à un cinéma de texte écrit, dans la lignée de Melville, ou peut-être davantage sur ce point, les polars de Lelouch. Un sympathique hommage au polar à la française.
Une BD qui laisse en mémoire plusieurs images fortes, par exemple celle d'un petit chien blanc, ou d'un robot tout-puissant qui perd le contrôle...
Il faut le dire, je tiens Blutch pour un auteur majeur de la BD depuis 30 ans, et ce petit billet ne saurait lui rendre justice, il faut lire toute son oeuvre si on est amateur de son univers et de son style, à commencer par "Vitesse Moderne", "Mitchum", "Pour en finir avec la cinéma". Un auteur qui reste encore très confidentiel compte tenu de son importance. Son univers et son trait graphique sont sans doute déconcertants pour un grand nombre, y compris lorsqu'il rentre dans une forme plus classique, en plus en adaptant une série populaire comme c'est le cas ici. C'est mille fois compréhensible. Mais si on se découvre une sensibilité proche, il faut courir le lire.
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