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Critique de berni_29


Dans ce roman, il y a de la musique russe, un petit chien en surpoids, des gens un peu fêlés, des monstres improbables, de très beaux portraits en noir et blanc, de la traîtrise et du drame, des joies folles et pourquoi pas au détour de ces vies déboussolées, un peu de tolérance.
Les bracassées, ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, vous ne le trouverez pas. C'est un néologisme inventé par un des personnages du dernier roman éponyme de Marie-Sabine Roger, pour désigner cette bande de « bras cassés » émouvants et drôles, qui vont nous entraîner dans une série d'aventures, à première vue cocasses...
Le roman débute par la rencontre improbable de Fleur et d'Harmonie qui en sont les deux principales héroïnes. Je vais vous les présenter.
Fleur est une vieille dame obèse qui vit seule avec son chien Mylord, un vieux carlin qui se traîne difficilement, mais dont Fleur ne se sépare jamais ou que très rarement. Autre signe particulier : Fleur est une phobique sociale. Son armoire à pharmacies, c'est sa bouée de sauvetage permanente... La vie lui paraît un danger permanent. Et ce territoire dangereux commence sur le palier de la porte de son appartement, une porte blindée, fermée à triple tour, qu'elle ne franchit que par nécessité vitale, aller faire ses courses, ou bien rencontrer son thérapeute. Pour Fleur, l'autre est un ennemi par définition, sauf ce cher docteur Feodor Borodine, par ailleurs écrivain d'ouvrages sur le mieux-être, dont il a déjà dédicacé vingt-sept exemplaires à la vieille dame. Et quelles dédicaces !...
Quant à Harmonie, il s'agit d'une jeune femme atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette. En clair, son langage est ordurier, elle envoie des jurons, des « gros mots » comme on dit, à la pelle et elle ne peut retenir des gestes amples et violents. Elle vit avec Freddy, à quelques amies, Elvire, Tonton, bien atypiques elles aussi, mais reconnaissons-le, sa maladie la rend totalement inapte à toute vie sociale.
Fleur, Harmonie, deux prénoms qui peuvent être bien trompeurs à première vue...
Ces deux -là ne devaient pas se rencontrer. Et on pouvait craindre le pire. D'ailleurs, leur première rencontre est un choc physique au premier sens du terme.
À la faveur d'une petite annonce déposée sur le panneau d'affichage d'une supérette, les deux femmes vont se rencontrer. Ouille ! me direz-vous ! Justement. Quand Harmonie vient sonner à la porte de Fleur, la fameuse porte blindée, la vieille dame s'attend à cette visite et en même temps la redoute. Et c'est là que le destin de ces deux femmes va basculer complètement... Une porte qui s'ouvre, qui se referme aussitôt, des gestes totalement désordonnés dans le fracas des voix, des cris, un langage de charretier, la peur, la différence qui s'affronte, qui ferraille,
Toutes deux sont bientôt rejointes par d'autres personnages drôles et attachants vivant en marge de la société.
Ils sont fous, ils font peur, ils sont laids, ils sont gros... Mais ils ne baissent pas les bras... Leurs bras cassés nous tendent des regards gros comme cela.
Autour d'elles, Elvire, Tonton, le merveilleux Monsieur Poussin, centenaire photographe. Autant de personnages singuliers, touchants et drôles.
Rien n'aurait dû les rassembler, si ce n'est leur étrangeté et le fait que la société fait d'eux des inclassables, incapables, déclassés, donc des bras cassés.
Tiens, parlons de ce Monsieur Poussin. Il a 103 ans et s'apprête dans quelques jours à fêter ses 104 ans. Il avance désormais avec un déambulateur, continue de ne voir la vie qu'en noir et blanc. Son regard est magnifique jeune, c'est un regard qui cherche à changer les regards. Je me suis pris d'affection pour ce personnage, non pas comme s'il était mon grand-père, mais plutôt comme un frère, un grand frère...
Il y aussi Tonton, qui se fabrique une famille en ferraille de récupération. Ses sculptures nous ressemblent. Elles sont belles et laides en même temps. Ou plutôt laides et touchantes.
Ici, dans cette communauté vivante et éphémère, on parle, on se contredit, on débat, on s'engueule, on s'embrasse, on existe quoi !
Tout a commencé par une porte qui s'est ouverte et puis refermée aussi vite et avec grand fracas. Tant d'autres portes qu'il nous faudrait fracasser... Nos voyages immobiles à travers les livres nous donnent cette envie à chaque instant. Quel est ce sentiment inachevé qui rejoint nos gestes d'aller plus loin ?
Ils rêvent de faire quelque chose ensemble, pas forcément de laisser une trace indélébile autour d'eux ou après eux.
C'est l'histoire d'une poche de résistance, remplie de cailloux blancs, qu'ils vont semer tout autour d'eux. Si les portes sont trop difficiles à ouvrir, avec des bras cassés c'est vrai que ce n'est pas facile... alors ils vont tenter d'ouvrir des fenêtres, faire entrer la lumière, les courants d'air aussi et puis peut-être que le rester viendra alors, l'essentiel...
Une fois encore, Marie-Sabine Roger traite avec tendresse, humour et humanité, de la différence. Ses mots font du bien.
Ce roman profondément humaniste donne une vision positive de la différence, refusant le regard excluant, mais prônant au contraire la chaleur du collectif. Mais, selon moi, ce serait trop réducteur de classer ce livre dans la catégorie « feel good book ». Ce roman va bien au-delà, il est jubilatoire et pose quasiment un acte de résistance et d'engagement pour faire accepter la différence dans nos sociétés lisses et changer le regard des autres, c'est-à-dire changer nos propres regards. Il est un plaidoyer chaleureux pour imaginer un nouveau vivre ensemble.
Peu à peu, nous sentons un chemin se dessiner, l'émotion prendre le pas, mais il y a toujours ce petit train d'humour et de dérision, juste là pour nous retenir de tomber dans le pathos et éviter de nous donner une leçon de morale...
Nous refermons la dernière page du livre, mais la porte reste entrouverte, ou peut-être les fenêtres. Cela suffirait...
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