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Critique de Shaynning


Incontournable Album Théâtre Janvier 2024


C'est bien le premier album pour la section Théâtre jeunesse que je croise, et je flaire avec nostalgie un de mes passages préférés, la très comique et désormais connue "tirade du nez" de la pièce "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand. Avec ses délectables jeux de mots, ses figures de styles et son humour auto-dérisoire franc et assumé, ce passage est autant une ode au nez qu'un pied-de-nez à l'ignorance et au manque d'imagination. Non, mais si vous deviez insulter, de grâce faite-le avec panache, pour qu'au moins nous puissions en rire! Mais bon, idéalement, dans l'absolu, je vous invite quand même à préférer les compliments, c'est meilleur pour l'estime de soi. Bon, trêves de futilités!


L'album, qu'en est-il? Nous partons du moment où le vicomte de Valvert, avec son manque de verve et de créativité, lance à Cyrano une insulte d'une fadeur qui a de quoi faire froncer le nez, celui de notre amateur de Lettres le premier. Piqué non par l'intention ( qui est certes déplaisante) mais par la mollesse des propos, Cyrano se lance alors dans une énumération de divers façons de mettre en évidence le trait particulier de son organe olfactif si difficile à ignorer.
Voici:
" Ah! Non! c'est un peu court, jeune homme! On pouvait dire...Oh! Dieu!...bien des choses en somme...En variant le ton,-par exemple, tenez:"

"Agressif: Moi, monsieur, si j'avais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse! "
Oh, joie, du subjonctif imparfait, c'est savoureux!

Le très classique:
"Descriptif: C'est un roc!...c'est un pic...c'est un cap! Que dis-je, c'est un cap?...C'est une péninsule!"

Le très mignon ( et tout aussi parfaitement subjonctif) :
"Gracieux: Aimez-vous à ce point les oiseaux Que paternellement vous vous préoccupâtes de tendre ce perchoir à leur petites pattes?"

Celui-dont-j'ai-du-chercher-le-mot-dans-le-dictionnaire:
"Truculent ( Def: Haut en couleur, cocasse ): "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez ( ohoho) , la vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée"
Vous avez remarqué les trois "nez" dans cette réplique?

Bon, je ne peux pas tous les mettre, même si c'est tentant. Ils sont tous fort amusants, parce qu'exagérés, imagés ou encore fort bien associés. Pas étonnant que ce passage de la pièce soit aussi populaire encore de nos jours.


Et en parallèle, c'est une belle expression de la richesse de la langue française et des joies d'avoir autant de synonymes. La langue française est très imagée, en voici un bel exemple. Et à cela s'ajoute l'importance du "ton", qui change complètement l'approche de celui qui parle et la réception de celui qui reçoit ( en pleins dans le nez). Les émotions et les intentions prennent ici une part importante de l'effet comique. Certaine sont gentiment moqueuses, d'autres cinglantes, certaines attendrissantes et d'autres plus neutres en étant pratiques ou observatrices.


Côté illustrations, je n'ai pas assez de vocabulaire artistique pour définir en un mot ce genre de graphisme. Je dirais que ça ressemble à du collage de photos en assemblage avec de la géométrie et de grandes formes de couleurs homogènes. Il n'y a que cinq couleurs: Bleu ciel, rouge carmin, noir, blanc et ocre. Un peu abstrait et symbolique, on utilise les assemblages pour créer des scènes qui ont des éléments de rappel des textes et bien sur, le "nez", souvent représenté rouge avec un oeil et son sourcil, rappel qu'il est la vedette, quand il ne change pas de forme pour devenir un bâtiment. Ah et il a une moustache! Comme Cyrano. le nez est donc souvent son incarnation, restreint à un simple nez, mais après tout, quel nez! Autant qu'il prenne toute la place. Et je remarque le côté "granuleux" des zones de couleurs, ce qui lui donne l'air un peu vieillot et lui confère plus de texture. Si ce n'est pas dans ma palette de gout ce style graphique, je reconnais qu'il sert bien son sujet.


Donc, une belle trouvaille en ce début d'année, juste après avoir trouvé la version "album jeunesse" d'Antigone, quelle coïncidence. Compte tenu de la richesse des textes et de la réflexion que chaque "tons" implique, je pense que cet album sera pertinent surtout à un lectorat primaire plus vieux, les 10-12 ans au moins, mais les ados aussi constituent un beau lectorat pour ce prêter au défi de la plume de Rostand.


Et les profs de théâtre seront sans doute heureux d'avoir ENFIN un album jeunesse consacré à une oeuvre de théâtre.

Nez-itez pas à ouvrir cet album et malme-nez quelque peu vos neurones, car vous n'avez plus à plonger le nez dans "Cyrano de Bergerac" en version intégrale pour apprécier la plume raffi-nez de Rostand et son humour autodérisoire toujours efficace. Nez-ce pas?


Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire et adolescent, 12 ans+.
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