AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Affranchie


Circulus s'ouvre sur un battement de paupière subit ; celui d'un regard silencieux sur un monde tapageur. de cette narratrice qui nous tiendra la main tout au long du récit, nous ne saurons jamais rien, si ce ne sont des bribes d'émotions éparses. Muette, solitaire, presque invisible, nous la retrouvons échouée dans un bois où s'agitent des voix diverses. Telle une naufragée sur une île à découvrir, cette voix inconnue est un corps fantomatique qui erre dans un récit cacophonique. Et le monde lui apparaît dans toute sa nudité avec autant de force que sa propre présence est une absence aux yeux des autres. A son réveil, on se dispute autour d'un corps ; celui d'une vieille, morte et recroquevillée dans une caisse en bois. Scène disparue aussi vite qu'elle nous est apparue : voici à présent notre narratrice suivant les traces d'Andronica. Quel étrange prénom que celui de cette femme. A la fois poétique et brut, il nous incite inconsciemment à donner à ce personnage flamboyant les traits d'une Andromaque vigoureuse, mère modèle et femme combattante. Andros, l'homme, Niké, la victoire. Un nom mythique pour une femme invincible. Justement, Andronica est enceinte. Elle attend deux enfants d'une relation forcée dont elle entend bien tirer réparation. Jamais décrite, elle nous apparaît uniquement à travers les sursauts de son corps sur le point de donner la vie, de sa colère fougueuse qu'elle projette partout autour d'elle. A défaut d'avoir des droits, Andronica a une histoire : celle d'une beauté en colère, une femme combattante prête à tout pour être reconnue et offrir à ses enfants autant de dignité qu'elle a de verve.
Elle accouchera dans la douleur dans la roulotte de la vieille Sybille. le regard admiratifcvt_circulus_530 de notre narratrice muette offre le spectacle d'un corps déchiré, hurlant de douleur, dont finiront par s'échapper deux jumeaux, Achille et Ido. Redevenu tranquille et pur, le corps d'Andronica a tout à coup les apparences d'une madone nourrissant ses enfants dans un apaisement nouveau.Mais seul le père de ces enfants peut valider leur nom. Et comme la vieille Sybille tempête pour changer Ido en Auguste – un « nom de clown » pour la mère- la jeune femme décide de partir à la recherche de son bourreau pour obtenir la reconnaissance de ses enfants. Et notre narratrice sera sa première compagne de voyage.
Alors que le pèlerinage d'Andronica touche à sa fin, un nouvel événement bouleverse son objectif. Au bord de la route, un homme s'immole sans parole, sans protestation. Y succède alors une nouvelle bataille menée par la nouvelle mère. Une bataille pour leurs droits qui réunit femmes, ouvriers, gens du cirques, figures sans nom. Et si notre narratrice muette est trop silencieuse pour ces manifestations tapageuses, elle finira par trouver sa place dans ce monde où elle n'est que spectatrice.
Les deux femmes entament ainsi une traversée à la périphérie digne de l'Odyssée. La première muette autant que la deuxième est volubile, elles nous entraînent sur une route où l'humanité toute entière est donnée à voir dans son plus simple appareil. Dénuée d'artifice, de mensonges ou d'apparats, elle existe dans son dépouillement le plus complet. Nous y découvrons des réfugiés, des prostituées, des mendiants, des abris précaires, des sans papiers exploités au coeur de grands travaux. Mais aussi des morts, des corps sans nom, des identités envolées. Et puis, au fur et à mesure de leur traversée, d'autres femmes et d'autres hommes se joignent à ce cortège bigarré. Teli, la veuve d'un immigré mort sur un chantier, ajoute une touche de douceur à ces figures violentes. Tara, quant à elle, est une migrante qui a fui la guerre pour retrouver les combats d'un pays qui la rejette. On fait sa rencontre à l'entrée d'une bouche de métro, où elle maudit le monde entier dans un monologue assourdissant. Odyn et Faustin, figures douces de l'homme, sont des SDF installés sur le bord du périphérique. Sur ce tableau essentiellement féminin où la virilité côtoie la monstruosité, ceux deux frères dont se réconcilier les combats de tous les sexes.
Le roman de Marie Rouzin se déroule comme un long poème où l'on souffre, rit, pleure et s'exclame au gré de ses personnages. Parfois effréné, parfois indolent, le rythme des pages est seul maître des intentions du lecteur. Avec une écriture crue, présente parfois jusqu'à la violence, l'auteure nous entraîne dans un voyage initiatique porté par la figure époustouflante d'Andronica où l'on va à la rencontre de ces être « aux pieds couverts de poussière« . Sombre et terrible, plein d'espoir pourtant, leur monde est comme une peinture de van Gogh : à la laideur des personnages répond leur fureur d'exister. C'est aussi un manifeste du corps ; corps souffrant sur le point de donner la vie, corps libéré, corps d'une mère nourrissant ses enfants, « son armée« . Dans ce roman écrit comme un jet, la mort côtoie la vie, la lâcheté côtoie la révolte, le vide la naissance et l'injustice la cruauté. Au coeur de ce tableau où les contraires s'épousent dans un fracas assourdissant, les mots et les rencontres parsèment de tendres touches de clarté.
Lien : https://combat-jeune.com/201..
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}