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Critique de Eric75


Peu d'ouvrages de vulgarisation parlent de la gravitation quantique à boucles, il faut donc reconnaître à Carlo Rovelli le mérite de combler ce manque criant de publications sur le sujet. On peut en revanche trouver un grand nombre de livres sur la théorie des cordes, théorie directement concurrente de celle de la gravité quantique, et c'est dans ces derniers que l'on trouvait jusqu'à présent la description en creux de la gravitation quantique à boucles, citée comme une alternative possible à la toute puissante théorie des cordes (surtout lorsque le livre en question a pour but affiché de dénoncer les dérives de cette dernière, je pense bien sûr à l'excellent Rien ne va plus en physique ! L'échec de la théorie des cordes de Lee Smolin). Dénigrer les « cordistes » est une occasion aux « bouclistes » de pouvoir s'exprimer, parfois avec peu d'aménité, la compétition pour obtenir des budgets en recherche fondamentale étant rude !

L'objectif de ces deux théories est commun, il s'agit de parvenir à réconcilier les deux piliers de la physique théorique ayant vu le jour il y a maintenant plus d'un siècle : la relativité générale et la mécanique quantique. Dans le présent ouvrage, la théorie des cordes n'est que vaguement évoquée dans une note de bas de page (page 146) et revient sur le tapis avec le constat (page 196) de l'absence de découverte de particules super-symétriques dans le LHC, comme pour mieux souligner les espoirs déçus de la théorie concurrente. Rovelli toutefois ne souhaite pas trancher définitivement la question. Les bouclistes n'ont donc pas encore tout à fait bouclé leur boucle et les cordistes n'ont donc pas encore trouvé la bonne corde pour aller se pendre.

Pour nous faire comprendre la gravité quantique, Carlo Rovelli décrit l'évolution de la pensée scientifique et articule son essai en quatre parties. La première partie aborde la théorie atomiste qui comme chacun sait date de la Grèce antique (Leucippe, Démocrite) et pose les premiers concepts fondamentaux : espace, temps, particules, champs… imaginés et théorisés par les plus grands physiciens de leur époque (Newton, Maxwell, Faraday). La seconde partie décrit la révolution issue des deux piliers cités plus haut : relativité et quanta, et répartit la paternité des découvertes aux inventeurs respectifs (Einstein, Planck, Bohr, Heisenberg, Dirac). On notera que la relativité restreinte est décrite très curieusement sans faire appel aux transformations de Lorentz, et l'auteur met en avant l'idée de présent étendu, zone intermédiaire entre passé et futur. La troisième partie présente dans le détail la construction de la théorie de la gravité quantique. La quatrième partie, plus spéculative, énonce les implications de la gravité quantique sur la cosmologie, le big-bang, la thermodynamique des trous noirs, et débouche sur une théorie de l'information et la possibilité de définir un temps « thermique » (idée déjà rencontrée dans l'excellent ouvrage de Marc Lachièze-Rey : Voyager dans le temps).

Tout commence avec les travaux de Matveï Bronstein (URSS), de John Wheeler et de Bryce DeWitt (USA). L'idée repose sur une quantification de l'espace lui-même, qui n'est plus continu et infiniment divisible mais discret. La plus petite longueur permise est bien entendu la longueur de Planck Lp = √(ħG/c3) qui est au-delà de ce que vous pouvez imaginer comme étant très très petit… On peut même calculer l'aire des surfaces séparant les « grains d'espace » : A = 8πLp2 √(j(j+1)) où j correspond à des valeurs demi-entières de spin. Les quanta du champ gravitationnel s'articulent en réseaux de spins, ils ne sont pas dans l'espace, ils « sont » l'espace. Deuxième postulat, le temps n'existe pas, il résulte des interactions entre les quanta. Les champs quantiques deviennent covariants, ils engendrent tout ce qui existe : espace, temps, énergie... Et ce n'est que le début…

Dans cet essai, de nombreux concepts innovants sont présentés au lecteur béotien. Carlo Rovelli expose ses thèses dans un langage toujours clair et précis, à ce titre, c'est un excellent vulgarisateur, « il fait le job ». J'aurais pourtant aimé trouver ici un comparatif plus poussé entre la gravité quantique à boucles et la théorie des cordes. le concept des cordes et celui des boucles se ressemblent. Une grande différence existe cependant : les cordes ont besoin d'un substrat pour vibrer, alors que les boucles sont les constituants de l'espace lui-même. Ceci donne pour moi un avantage à la gravité quantique, quant à la profondeur des idées, mais l'auteur n'a sans doute pas voulu aller sur ce terrain là.

Autre avantage, un espoir existe de pouvoir peut-être un jour vérifier cette théorie par l'expérience (ce n'est pas le cas des cordes, qui présentent une infinité de paramètres possibles et perdent ainsi leur caractère prédictif). Deux pistes existent, l'une avec l'exploration de l'infiniment petit, l'autre grâce à l'observation de l'infiniment grand. Carlo Rovelli se réfère bien sûr au LHC du CERN et à l'étude des fluctuations du fond diffus cosmologique cartographiées grâce au satellite Planck. Par-delà le visible, la recherche continue d'avancer, il faut seulement être patient.
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