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Critique de BazaR


BazaR
17 février 2016
Il y avait longtemps qu'un bouquin de science n'avait pas fait émergé cet agréable frisson qui naît à la base de la nuque et descend jusqu'au coccyx, et qui traduit physiquement cette impression de mieux comprendre le monde.

Cela commence par une plongée dans l'antiquité grecque d'où Carlo Rovelli tire les racines de l'atomisme ; cette vision du monde constitué d'insécables petits éléments prônée par Leucippe et Démocrite qui sera noyée par les philosophies de Platon et d'Aristote et ne perdurera qu'à travers certains textes comme la poésie de Lucrèce. L'auteur enchaine avec la création du concept de force (Newton) puis de champs (Faraday, Maxwell), affinant petit à petit la liste des briques du réel et leurs indispensables relations. Puis l'espace se lie au temps et se courbe, la matière se confond avec l'énergie ; elle se discrétise et s'indétermine. le nom des Grands Démons du XXème siècle sont invoqués : Einstein, Bohr, Heisenberg, Dirac. Tout au long, l'admiration du génie de ces hommes est palpable. Rovelli sait ce que l'humanité doit à ces géants sur les épaules desquels il s'est lui-même dressé. Il mêle ces descriptions d'analogies éclairantes (l'explication de l'univers fini mais sans bord par exemple) et de poésie. Il y a du Carl Sagan dans le style de cet homme amoureux de la beauté.

On attaque ensuite le coeur du sujet : la présentation de la gravité quantique à boucles. Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle mode capillaire mais bien de l'une des deux théories physiques concurrentes qui cherchent à unifier les puissantes mais décidément fâchées Relativité Générale et Mécanique Quantique. Si je n'ai pas eu trop de difficultés avec certains concepts – la quantification de l'espace par exemple ; merci aux maillages de mes simulations numériques – d'autres m'ont donné plus de mal et nécessiteront de nombreuses lectures complémentaires – comme la mousse de spin ou les spéculations sur le lien entre théorie de l'information et entropie. Mais ce que j'ai digéré m'a forcé à changer de paradigme, à faire disparaître la dualité entre contenu (matière, énergie) et contenant (espace, temps) et a offert à mon imagination une élégante vision du réel, splendide dans son étrangeté même. le moment le plus fort est probablement l'explosion de l'évidence que le temps n'est pas un élément fondamental de l'univers. Jamais on ne le mesure directement, mais toujours à travers le cadencement de processus physiques, tant de battements de coeur valent tant d'oscillations de pendule qui valent tant de tours de roue. C'est un peu comme si l'économie moderne perdait le concept de monnaie pour revenir au troc. Évident, incroyable, splendide.

Sans jamais faire de sa propre opinion un sujet en soi, Carlo Rovelli révèle de-ci, de-là beaucoup de lui-même. Il est très érudit, il adore la poésie, il aime l'élégance des mathématiques mais n'oublie pas que la validation d'une théorie passe par la preuve expérimentale. Il n'apprécie pas tant que ça Platon et Aristote à qui il reproche leur opposition à l'atomisme de Démocrite. Il est rationaliste et matérialiste ; la foi, les dieux, ne sont que billevesées pour lui. Les temps qui virent la religion écraser la raison sont une catastrophe ; à ses yeux, le moyen-âge occidental est véritablement un Age de Ténèbres. Je l'ai parfois trouvé un peu trop excessif, amalgamant la religion et son fils déchu le fondamentalisme intransigeant. Sa description du monde scientifique est aussi un peu trop dithyrambique ; il contient ses propres paniers de crabes, j'en suis convaincu. Mais ce n'est qu'un détail au regard de son remarquable pouvoir de vulgarisation et de son admiration débordante pour les génies du passé et pour l'Univers dans lequel nous vivons.

Lire ce livre fut un sublime moment, même si « moment » fait référence à un temps qui n'est, comme Rovelli le dit, « qu'un effet de notre négligence à l'égard des micro-états physiques des choses, l'information que nous n'avons pas ; le temps n'est que notre ignorance ».
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