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Critique de Levant


"Car j'ai vu trop souvent la pitié s'égarer." Ce sont les premiers mots de cet ouvrage qui se présente comme le recueil des méditations De Saint-Exupéry.

Si l'on en juge par le nombre d'occurrence de la conjonction "car" dans cet essai, on ne doute plus de l'intention de Saint-Exupéry d'accumuler, dans ce qui n'est alors qu'un fouillis de réflexions, les arguments qui viendront étayer une démonstration. Elle reste certes à structurer mais on a déjà compris qu'il s'agit de mettre en garde la plus turbulente des créatures de Dieu, contre sa propension à se perdre en futilités.

"Si tu veux comprendre les hommes, commence par ne jamais les écouter."

Saint-Exupéry ne croirait-il en l'homme que parce qu'il est créature de Dieu ? Il manifeste à l'égard de celle-ci un humanisme forcené mais exigeant. Avec ses interpellations laissées à la postérité, il n'a de cesse de la stimuler pour tenter de canaliser ses intentions vers le chemin de la raison. Une raison empreinte de foi religieuse, même si parfois le doute gagne du terrain.

"…il n'est rien qui soit tien car tu mourras." Comportement d'appropriation, d'avilissement contre lequel il ne cache pas son aversion allant jusqu'à parler de pourrissement et qu'il sent de nature à détourner son semblable de sa vocation originelle : bâtir l'humanité.

Bâtir. Une obsession chez lui. Empire, temple, cathédrale, dont on ne sait ce qu'ils embrassent, mais tout est symbole dans une cascade de métaphores en lesquelles émerge un idéal de vie. Elle est un éternel chantier et chaque jour est une naissance. Chaque pierre devrait être une preuve de l'aptitude de l'homme à faire de cette vie un édifice d'humanité dont la clé de voute serait l'amour de son prochain.

"Mélancolique j'étais car je me tourmentai à propos des hommes"

Saint-Exupéry est de ces êtres rares qui ont une distance avec leurs semblables au point d'en ressentir de la solitude. Solitude de celui qui prêche dans le désert. Aux antipodes d'un Camus qui se révolte contre l'absurdité de la vie et le silence de Dieu, il loue la vie et justifie le mystère de Dieu. "Car je n'avais point touché Dieu, mais un dieu qui se laisse toucher n'est plus un dieu."

Citadelle, c'est aussi la parole donnée à un père parti trop tôt et qui a cruellement manqué à la jeunesse du petit Antoine. Cet ouvrage restera comme le plus pur produit d'un esprit livré à la déception d'un monde trop imparfait. Foisonnement d'allégories abandonnées en désordre à un avenir qui ne s'est pas tenu. Et peut-être n'est ce pas plus mal. Car vouloir les rendre accessibles à ses semblables n'eut-il pas ôté de la spontanéité au geste de l'écrivain et fait perdre de la hauteur au philosophe.

Citadelle, c'est aussi la richesse d'une poésie affranchie de la rime. Pensées brutes, parfois confuses et difficiles à décoder tant elles comptent sur la force de l'image, sur la candeur de la parabole. Bouillonnement contenu d'une foi en l'homme chancelante mais toujours sincère, car entretenue vaille que vaille par une éducation rigoureuse, laquelle refuse de céder du terrain à la facilité.

Le fil directeur de pareil ouvrage existe. C'est l'hymne à la vie. La structure quant à elle n'existe pas encore lorsque Saint-Exupéry confie ses pensées à ses carnets. Celle qui sera inventée par ses éditeurs posthumes répondra à la préoccupation de préserver un trésor tel qu'il aura été abandonné. Ils chercheront à perpétuer ce "J'ai besoin d'être" et à mettre en valeur une pensée humaniste trop tôt engloutie dans les flots de la Méditerranée en 1944. Mais, ne sommes-nous pas "ensemble passage pour Dieu qui emprunte un instant notre génération."

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