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Critique de Presence


Ce tome contient les épisodes 13 à 18, initialement parus en 1988/1989, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc. Dans l'édition VO, ce tome s'ouvre avec une introduction d'Alejandro Jodorowsky de 2 pages. Il n'est pas indispensable d'avoir lu les tomes précédents, toutefois cela permet de mieux apprécier les liens qui unissent les personnages.

De nuit, Tomoe Ame (le visage fatigué, les vêtements souillés) fait galoper son cheval comme si elle avait les hordes de l'enfer à ses trousses. Elle file droit sur une troupe d'hommes armés portant le sigle de la famille du seigneur Tamakuro. Ils finissent par avoir le dessus, la mettre à terre, et la faire prisonnière. Quelques jours plutôt, le jeune seigneur Noriyuki avait confié à Tomoe Ame, être inquiet du fait de rapport indiquant que le fief du seigneur Tamakuro embauchait beaucoup de rônins. Il l'avait missionnée pour mener une délégation chez ce seigneur afin de lui présenter ses respects, dans une démarche de bon voisinage. Arrivée sur place, Tomoe Ame avait fouiné dans un bâtiment bien gardé où elle avait découvert un stock d'arquebuses (teppo) suffisant pour équiper une petite armée.

Dans la même région, Murakami Gennosuke (un chasseur de primes et une sorte d'ami d'Usagi) suit la piste de Zato Ino, un rônin aveugle, affublé d'un nez en bois. Gennosuke est bien déterminé à rattraper Ino pour le capturer et récolter la récompense promise. Il demande des renseignements à un couple de coupeurs de bois qui lui indique qu'effectivement Zato Ino a emprunté ce chemin peu de temps auparavant. Miyamoto Usagi est lui aussi dans la région et il voit passer sur le chemin, la troupe de cavaliers ramenant Tomoe Ame captive au seigneur Tamakuro. À son insu, Miyamoto Usagi est également recherché par Shingen, le chef du clan des ninjas Neko

Cette histoire constitue la première de grande ampleur racontée par Stan Sakai avec son lapin anthropomorphe. le lecteur retrouve tout ce qu'il apprécie déjà dans la série : le courageux Miyamoto Usagi, mais pas parfait pour autant, la valeureuse Tomoe Ame (une femme samouraï qui ne s'en laisse pas conter), le rhinocéros anthropomorphe chasseur de primes et un peu roublard, l'irascible cochon avec sa prothèse nasale en bois ridicule et sa propension à tuer tout le monde pour chercher la paix. Il retrouve également l'improbable seigneur Noriyuki, encore un jeune adolescent avec une apparence panda, mais déjà un fin stratège politique. Comme les tomes précédents, celui-ci propose une narration tout public, avec des personnages attachants sans être nunuches, et des combats mortels sans être sanglants. L'histoire est peut-être un peu longue pour une jeune enfant, et peut-être un peu mignonne pour un adulte.

Continuant à s'inspirer de son modèle (la vie romancée de Miyamoto Musashi, l'histoire du Japon féodal), Stan Sakai bâtit son intrigue en utilisant les conventions du roman feuilletonnant. le lecteur ne doit pas s'offusquer que tous les personnages principaux et secondaires de la série se retrouvent bien opportunément dans la même région et se croisent régulièrement. Il s'agit d'une des conventions de ce genre romanesque, et l'auteur l'utilise en la respectant. de la même manière, plusieurs événements surviennent avec une chronologie bien opportune, à commencer par le héros qui arrive au bon moment pour sauver un personnage, ou pour empêcher le pire.

De ce point de vue, la narration est un peu enfantine, mais certainement pas infantile. Miyamoto Usagi ne devient pas général des armées du seigneur Noriyuki par magie, et Tomoe Ame ne se sort pas de toutes les situations comme par magie, simplement grâce à ses capacités de bretteuse supérieures à tout le monde, ou par une chance extraordinaire. le lecteur est immédiatement séduit par l'apparence mignonne des personnages, mais sans ressentir l'effet Disney. L'introduction d'Alejandro Jodorowsky commente très bien ce mode opératoire. Il déclare en cours de route qu'il ne supporte pas les histoires dégoulinant de bons sentiments, telles que les contes réécrits à la sauce Disney. Il était donc plutôt méfiant quand son fils lui a demandé d'acheter un tome d'Usagi Yojimbo dans une librairie parisienne, puis lui a demandé de lui traduire. Au bout du compte, il est lui aussi tombé sous le charmes des qualités narratives de Stan Sakai, ce qui constitue une impressionnante référence en termes de qualité, au regard de l'oeuvre exigeante et adulte de Jodorowsky.

Même si les coïncidences vont bon train pour les besoins de l'intrigue, cette dernière se révèle ben construite et pas si manichéenne que peut le laisser supposer sa forme. Miyamoto Usagi se porte au secours de la belle Tomoe, mais tout amour explicite entre eux est totalement hors de question du fait de leur statut social respectif. Les convictions de Tomoe Ame exigent d'elle qu'elle se sacrifie. Elles trouvent un écho dans celles du samouraï Torame, le responsable des gardes et de l'armée du seigneur Tamakuro. le scénariste fait en sorte qu'Usagi ait l'occasion de discuter d'honneur et de devoir avec Torame, citant un proverbe qui place l'honneur du samouraï au-dessus de la qualité de son seigneur, avec des conséquences difficiles à accepter. de la même manière, Zato Ino a du mal à imaginer un autre mode de vie que celui qu'il s'est choisi, malgré l'échec manifeste de sa quête. le lecteur adulte peut donc observer des personnages se débattre avec leurs convictions, avec leur mode de vie, avec les contraintes sociales qui sont celles de leur rang. Cette dimension du récit suffit à le rendre intéressant à un adulte.

En outre Stan Sakai raconte une histoire à l'intrigue plus retorse qu'elle n'en a l'air. Il ne s'agit pas juste d'empêcher le seigneur Tamakuro d'ordonner l'exécution de Tomoe Ame, ou de lancer une offensive contre le siège du pouvoir de l'empereur pour s'emparer du pouvoir temporel. Stan Sakai fait dire à ses personnages en quoi une période de troubles telles que le soulèvement du clan Tamakuro provoquerait ne peut qu'être néfaste pour le peuple. Mais en plus, la victoire ne pourra pas être arrachée par seulement une poignée de personnages, fussent-ils les premiers rôles. Usagi, Ame, Gennosuke et Ino se retrouvent au coeur du conflit, avec encore un ou deux autres personnages récurrents. Cependant ils ne participent qu'à une bataille, et la guerre se joue avec les potentielles alliances entre différents seigneurs, dans un jeu de diplomatie délicat, impliquant en particulier le seigneur Hikiji et son bras droit Hebi.

Enfin, le récit engendre des conséquences pour plusieurs des personnages, tout ne revient pas à un statu quo bien pratique. Sous réserve de reconnaître les conventions de genre pour ce qu'elles sont et de les accepter, le lecteur se retrouve immergé dans un complot à l'échelle de toute une région, avec des répercussions potentielles pour le shogunat lui-même, accompagnant des personnages attachants, au comportement et aux motivations adultes. En repensant au premier tome de la série, le lecteur constate que Stan Sakai a également progressé en tant qu'artiste. Il sait mieux doser les détails pour certains environnements, et des dessins plus simples pour d'autres et pour les personnages. le lecteur peut aussi bien observer dans le détail les tuiles d'une toiture, que passer rapidement sur une poignée de traits figurant une végétation indistincte en arrière-plan. Stan Sakai se calque sur une narration visuelle qui doit plus aux mangas qu'aux comics. Il simplifie ses cases plus en fonction des besoins de la séquence, que pour gagner du temps dans la production de ses pages.

Comme le souligne Alejandro Jodorowsky dans son introduction, le lecteur a tôt d'oublier qu'il regarde des traits encrés délimitant des personnages avec des têtes d'animaux grossièrement représentées, et des mains à 4 doigts. Stan Sakai insuffle une véritable vie à ces représentations simplifiées, grâce à des gestes naturels, un véritable talent de metteur en scène avec un oeil sûr pour les angles de vue, et une compétence impressionnante pour la composition de chaque page, afin que les cases s'enchaînent naturellement. le lecteur apprécie aussi bien la rapidité des mouvements lors des combats, ainsi que les techniques diverses (en particulier la capacité de Shingen à utiliser chaque élément d'un endroit pour se camoufler), que les moments plus calmes de dialogue entre 2 personnages. Il se rend compte que Stan Sakai effectue une reconstitution historique efficace avec ce qu'il faut de détails quand il faut (par exemple l'impressionnant château du seigneur Tamakuro). Les différents accessoires respirent l'authenticité dans leurs formes, comme par exemple la cape de pluie portée par Usagi Yojimbo. Les différentes constructions (par exemple les maisons du village des ninjas) attestent que l'artiste s'est renseigné sur leur architecture, et les techniques de construction.

Venu pour une suite de nouvelles dans un Japon médiéval, le lecteur découvre un récit romanesque, équivalent à un roman. Il a tôt fait d'oublier les formes bizarres des animaux et les coïncidences bien pratiques, tellement il s'intéresse aux personnages, qu'il regarde l'intrigue évoluer, tout en s'immergeant dans cette époque grâce à dessins simples et parlants.
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