AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Je vous invite à passer une nuit au musée en compagnie de Lydie Salvayre, ou plutôt c'est elle qui nous invite à ce surprenant voyage dans son dernier livre, Marcher jusqu'au soir, que j'ai beaucoup aimé.
Ce récit peut à la fois envoûter ou bien agacer, peut-être aussi les deux à la fois. Il est possible de rester au bord du texte, à sa surface, ne jamais parvenir à franchir le premier degré d'un labyrinthe qui plonge dans les dédales intérieurs d'une vie intime.
C'est une colère saine, inspirante, peut-être exutoire pour l'auteure... Consolatrice certainement...
Les mots sont violents, acides, ils décapent. C'est une plume trempée au vitriol et je comprends qu'elle puisse surprendre, agacer même, décourager certains lecteurs.
Lydie Salvayre nous raconte dans ce livre autobiographique l'expérience qu'elle a vécue, une sorte de jeu, de défi qui lui a été proposé par une amie, passer une nuit enfermée au Musée Picasso, avec comme seul compagnon la statue L'homme qui marche d'Alberto Giacometti.
Moi-même je me suis senti désarçonné par les premières pages de ce livre. Je ne savais pas trop bien où cette écrivaine m'amenait. La patience est salutaire. J'ai senti brusquement comme une main tendue qui me prenait la mienne, comme une respiration, comme des gestes à tâtons, comme une lampe tendue dans l'obscurité, non pas pour visiter un musée de nuit, mais descendre dans les profondeurs abyssales d'une vie intérieure.
Je connais encore très peu cette auteure, je la découvre dans cette deuxième rencontre et je ne saurai dire quelle part de sa vie intérieure elle jette dans les pages de ces livres. Ici visiblement, c'est un texte très personnel. Oui, elle règle des comptes avec l'Art, avec la Culture, le snobisme, l'argent, tous ces faux semblants, et c'est jubilatoire. Oui elle est de mauvaise foi sans nulle doute et c'est tout aussi jubilatoire...
C'est brusquement une petite fille qui nous parle, celle qu'elle fut, enfant d'une famille populaire d'immigrés espagnols, dominée par la figure écrasante d'un père redoutable. Elle se souvient qu'elle fut cette petite fille qui grandit, tiraillée entre l'amour et la honte.
Devant cette statue courbée vers elle, elle voudrait être touchée par la grâce de l'art, mais aucune émotion ne parvient à l'étreindre celle nuit-là... C'est une autre grâce qui la touche, celle de l'introspection, celle de pouvoir se pencher sur sa vie, ses vies intérieures, parler de ses origines sociales, d'un père qui la terrorisait, dire la peur du noir, savoir remonter le cours des choses, décrypter ses émotions, avouer qu'elle n'a peut-être jamais vraiment su trouver sa place dans les milieux culturels qu'elle est amenée à fréquenter depuis qu'elle est écrivaine, dire cette honte, dire cela avec humilité, et puis évoquer aussi sa maladie.
Il est des vies qui peuvent être façonnées par ce qu'elles ont éprouvé durant leur enfance, marquées à jamais, façonnées comme une statue de bronze filiforme condamnée à marcher, courbée sur son chemin, son ombre, ses pas.
Plus tard, ce voyage au musée est comme une eau qui se décante. En s'y penchant elle voit un visage, une silhouette qui remonte à la surface, c'est celle d'Alberto Giacometti. Elle se reconnaît alors brusquement comme dans un miroir. Elle est allée à la rencontre de cet artiste, a voulu savoir ce qu'avait été son existence et les circonstances qui avaient donné naissance à l'une de ses oeuvres les plus célèbres.
Peut-être Lydie Salvayre est-elle à son tour cette femme qui marche, nue, penchée vers les pages, celles des histoires qu'elle écrit depuis si longtemps... ? Les autres pages à écrire ? Avancer, toujours avancer, jouir, comme si les mots, l'art, un crayon, un morceau de bronze, un fusain, une partition musicale, pouvaient à eux seuls tenir à distance la barbarie et la mort.
Commenter  J’apprécie          408



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}