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Critique de DianaAuzou


Ça commence par "Non, je lui ai dit non merci, je n'aime pas les musées..."et par une citation de Baudelaire dans Fusées, "Qu'est-ce que l'art ? Prostitution."
Taper fort la glaise, elle ne se laisse pas faire aisément, faut l'apprivoiser, lui enlever l'eau qui la gonfle et la fait exploser, la rendre docile, malléable, la sentir dans les mains modelable, jamais soumise, un corps à corps honnête long patient et passionné, avec violence et tendresse, arrachement et caresse, la creuser, enlever des morceaux de sa chair, en rajouter d'autres, remodeler, des jours entiers, des mois, de longues années.
Passer une nuit dans un musée, marcher en long et en large comme un lion dans une cage et verser sa colère. Lydie Salvayre est en colère. Colère noire, volcan en éruption, lave incandescente. Gare à vous qui êtes dans le coin.
En colère contre les cages des musées qui gardent l'art et l'étouffent, lui enlèvent la force la fièvre et l'ardeur, colère contre le faux qui se prend pour du vrai, contre l'argent qui veut acheter la beauté, contre les cons méprisants, donneurs de leçons et auto satisfaits, contre la société du gagne et du gagnant et du spectacle aux éclats bruyants confus et mal odorants.
Le ton est vitupératif, la réflexion est corrosive, les deux dénoncent, désapprouvent, sanctionnent, blâment et critiquent, en répétitions qui fouettent, des parenthèses qui précisent au cas où on l'a pas encore compris, des retours à la ligne qui martèlent cassent et cognent, la colère porte, mord, donne de l'élan, fait du bien, un bien fou ! Colère contre ce qu'on nous dit qu'il faut admirer, contre le conditionnement dans lequel nous sommes, plaire oui, mais pas courbés, pas à genoux devant la culture dominante, pas pour (se) vendre. Elle ne prend pas de gants, Lydie Salvayre, elle secoue, jette ses mots au visage, et puis, d'une caresse, d'une phrase douce comme du miel elle nous apaise et nous réconforte, car derrière la colère il y a une invitation à faire de l'art une expérience et pas une soumission à un conformisme et à un moment, mais à être libre.
Musée Picasso lors de l'exposition Picasso - Giacometti, la nuit. Solitude absolue dans un lieu qui n'est pas fait pour ça.
Ayant au début refusé cette expérience, Lydie Salvayre l'accepte finalement, tout en gardant les raisons de son refus d'avant.
J'aime sa colère qu'elle écrit et crie pour s'en défaire, elle me la transmet ; ma colère accueille la sienne, ainsi que son regard et son émotion forte et renouvelée devant L'Homme qui marche, nous sommes à l'unisson, Lydie, Giacometti l'Homme qui marche, et moi.
La frustration de Lydie Salvayre m'accompagne tout le long du livre et je me laisse enfermer avec elle, avec joie.
Si les livres "doivent mordre", selon Kafka que vous citez, eh bien le vôtre le fait à plein dents.
Un livre sur la création, et le temps immense qu'elle demande pour pouvoir s'exprimer, et l'honnêteté qui doit l'accompagner, contre les faux semblants, un livre qui défend l'échec dans une société où on se complaît dans la réussite, la performance, la rentabilité, l'argent.
Seule dans le musée, devant les oeuvres, Lydie Salvayre se sent démunie, sans défense , voit tout son passé resurgir, affluer, l'envahir, son père et sa domination cruelle.
Giacometti avait besoin de temps pour chercher la force du vivant, le mystère d'une vie, les blessures d'un visages, l'invisible, l'insaisissable, et pour dépasser un échec, et ensuite un deuxième, et puis encore un, sa création échouait à chaque instant, se nourrissait de chaque échec et avançait à petits pas, elle avançait sans jamais trouver, toujours chercher, il aimait ça.
Lydie Salvayre a eu besoin du temps pour passer en écriture des événements de sa vie, difficiles à digérer, trop lourds pour les garder. Elle (se) questionne, tâtonne, avance, recule, cherche les mots, le style, la graphie, le sens.
Un homme qui marche, une femme qui marche, pas toujours droit, mais ils avancent, désarmés de la fausse culture, sans masques, sans pensées postiches, sans les ressentis qu'on ne ressent pas. L'Homme qui marche, l'humain fragile et vulnérable, il connaît sa finitude, il avance, continue, reste debout, s'entête à vivre.
Devant l'Homme qui marche, une expérience intérieure forte, le corps est saisi, le corps physique et le corps culturel, un livre naît, Marcher jusqu'au soir, et un sens. Ecrire, n'est pas seulement une autorisation que Lydie Salvayre se donne, mais aussi une responsabilité et elle s'y engage.
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