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Critique de denisheudre


Dominique Sampiero, poète, connaît bien les peintres, ces artistes toujours à tenter d'esquisser un éclat, une absence, une présence invisible, le mystère de la création. Il collabore régulièrement avec des artistes pour publier déjà une quarantaine de livres d'artistes. Deux de ces ouvrages d'art ont été regroupés dans son dernier recueil paru aux éditions du Corlevour, au titre énigmatique et néanmoins évocateur Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées.

Dans la première partie, Dominique Sampiero commence par nous faire visiter "l'atelier troué de passages" de Marc Feld, peintre mais également metteur en scène et auteur, un endroit où "l'inachevé respire". Un atelier dans un garage où déambule le chat Pablo "Un chat, âme aux yeux bleus, intense, procrastine ses rêves et l'avenir de la pluie, avec élégance. Pablo déplace en ondulant dans sa fourrure le blanc des murs sur le parquet ou le céladon timide du gazon. Il signe à sa façon les oeuvres de sa belle nonchalance méditative, lenteur scripturale. Un peu ironique. Puis électrique avec les moineaux suicidaires du jardin venus aguicher les bourgeons en fleurs." Un atelier de peinture où "Le simple est vaste"...

Rentrer dans un atelier d'artiste c'est ouvrir une boîte à bijoux. C'est partir immédiatement en voyage, sans passeport, avec juste des rêves de couleurs qui deviennent réalité pour peu que l'on sache poser les mots justes sur l'émotion qui nous envole. "La peinture est oxymore sans mot."

Face à ce peintre de "l'invisible et du cri", quand "tous les sens sont cloués à leur vigilance", Sampiero sait que "l'écriture tisse des liens entre le silence et la toile."

Il y a du bleu, du rouge sur la page blanche du poème , et comme le dit Alain Borer dans sa préface : "Sampiero écrit en vers luisants."
Il y a des peintures, il y a des mots, il y a de la musique "Grande toile face / au piano". Comme si
la création avait trouvé son antre. Les notes, les mots inspirant le geste résolu de la couleur. Et vice versa.

Sampiero n'oublie pas la dimension mystique de toute création "Quand une couleur apparaît, c'est l'ange qui tue Dieu pour que nous pensions à lui."
"Nous sommes infirmes et infinis. Nous boitons entre le néant et le ciel, le monstre et le saint, la flaque et l'étoile "

Le poète ne peut que s'interroger sur le processus de création "Qui est l'esprit quand il peint, écrit à notre place ? Et où se cramponne-t-il ? A la main ? Au visage ? Au regard ?" avec la contrainte de "nous séparer de nous-mêmes.", "vers le tremblé / sensible de la présence / quand elle se prend à éclore / en à-plats / en griffures légèrement bombées" Créer jusqu'à s'assigner la tâche de bâtir une oeuvre. "L'oeuvre nous épuise et nous façonne."

Dans la deuxième partie intitulée Troublant tumulte, l'auteur s'adresse au mot. Après l'atelier du peintre, l'atelier du poète, grand prix de poésie Robert Ganzo en 2014, avec l'outil-mot a portée de main, dans le tumulte troublant de la création "mon pauvre mot de chair / et de salive, celui qui m'échappe, me saccage / me hante" . " Dans tes gestes, tu fais et tu défais le monde. Tu inventes une peau entre la langue et son baiser." le mot ce "roi des cent pas sur la page", ce mot dont on fait des poèmes "il te faut des histoires sans histoire, puis des chutes / des loopings sans queue ni tête qu'on appelle des poèmes. "

Mot "je te désigne, je te quitte, ton corps est mon abri, tes vitres se brisent comme des glaces à la surface des phrases, des âmes trouées de fenêtres lapent entre tes mains des reliques de ciel, des âmes qui n'existent pas inventent ici des phrases sans bord, des murmures à saisir entre les murs, dans les poutres qui craquent, à côté de ta bouche."

La troisième partie regroupe quelques "papiers collés" à l'image de ceux de Georges Perros avec son lot d'aphorismes très poétiques avec toujours la notion de passages en fil rouge avec les deux chapitres précédents. "C'est le jour des cyclistes bariolés, des sexagénaires qui se ruinent pour pédaler et faire plus jeune. Les chemins seront envahis de décisions criardes et de coups de sonnette."
" Chaque oiseau est un ange déguisé en voyage."
" On ne peut pas dormir si on n'a pas rangé l'armoire où est caché notre passé."
" Chaque douleur est un mot qui cherche passage."

Cet ouvrage est une véritable célébration du mot qui, entretissé avec les images nous propose une vraie démonstration de ce qu'est la poésie contemporaine. Et tout cela grâce à un éditeur courageux et persévérant pour défendre une poésie de qualité.

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